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Mefistofele de Boito aux Chorégies d’Orange – Pari réussi et spectacle total – Compte-rendu

Mefistofele d’Arrigo Boito (1842-1918) connut un destin contrarié. La création à Milan en 1868 se solda par un désastre, qui amena le compositeur à alléger considérablement sa partition – d’une durée de six heures à l’origine ! La version remaniée en 1875 s’est désormais imposée, sans pour autant connaître la même célébrité que les trois œuvres de Verdi dont Boito a signé le livret(1). Avec un courage certain, le nouveau directeur des Chorégies d’Orange, Jean-Louis Grinda, a décidé de programmer et de mettre en scène un ouvrage auquel il attache une grande importance (il l'a déjà fait représenter à Monte-Carlo). Le public n’aura en tout cas pas été déçu par le spectacle d’art total qui lui a été proposé.  

© Philippe Gromelle
 
A la portée philosophique du livret (la lutte entre le Bien et le Mal, de Dieu contre Satan déjà présents chez Goethe), Boito ajoute en effet une dimension théâtrale qui, dans le cas présent, répond aux contraintes du lieu. Cela se vérifie dès le "Prologue au Ciel" d'ouverture, traité à la manière d’un oratorio mais qui requiert un effectif considérable. Une phalange de moines en nombre est ainsi distribuée sur des praticables de part et d’autre du plateau dans un décor simple mais efficace de Rudy Sabounghi, respectueux du mur du Théâtre antique auquel il ajoute de simples colonnes. Pour compléter le dispositif, les vidéos de Julien Soulier sont projetées aux moments clefs, surlignées par les lumières de Laurent Castaingt. L’expérience de Jean-Louis Grinda, son habilité à gérer de grands espaces, à clarifier l’action de manière didactique impressionnent dans les scènes de foule, à l’image de la Nuit de sabbat déjantée de l'Acte II, véritable carnaval endiablé qui décline les sept péchés capitaux dans des costumes débordant de couleurs de Buki Shiff. Tout se serait déroulé au mieux si la nacelle prévue pour emporter Faust et Mefistofele dans les airs ne s’était enrayée à une dizaine de mètres du sol, obligeant les deux chanteurs à compenser le déséquilibre avec un sang-froid et un humour tranchant avec l’inquiétude perceptible sur les gradins. Au bout de quelques minutes la stabilité revient et les protagonistes touchent terre sous les applaudissements.

Jean-François Borras (Faust) & Béatrice Uria-Monzon (Marguerite) © Philippe Gromelle
 
Dans le rôle-titre, Erwin Schrott (photo) se montre fidèle à sa réputation d’éblouissant comédien, feu follet plus attaché à l’apparence extérieure du personnage qu’à ses démons intérieurs. Sa voix se révèle plus à l’aise dans le medium que dans le registre de basse mais témoigne d’une belle projection sans présenter le caractère tranchant attendu. En revanche, sa prestation, cigarette au bec, n’est pas avare d’effets, quitte parfois à attirer l’attention sur lui au détriment de ses comparses. Belle incarnation de Jean-François Borras alternant avec bonheur un Faust vieillissant et désabusé, puis un jeune homme conquérant après la signature du pacte avec Satan. En Marguerite/Elena, Béatrice Uria-Monzon, peu sûre au début, prend progressivement ses marques et réussit même à susciter une émotion vibrante dans les affres de la mort. Apparition suggestive de Marie-Ange Todorovitch en Marta ; le reste de la distribution se révèle de bonne tenue avec le Wagner/Nereo bien senti de Reinaldo Macias ou la Pantalis au timbre généreux de Valentine Lemercier.

Nathalie Stuzmann © Sabine Burger
 
Nathalie Stutzmann dirige l’excellent Orchestre Philharmonique de Radio France sans jamais perdre de vue le sens dramatique. Elle sait apporter de la clarté et de la fluidité à une orchestration d’une densité parfois wagnérienne avec le souci constant de ne jamais gêner les chanteurs dont évidemment elle se sent proche. Sa vision à la fois engagée et maîtrisée ne mérite que des éloges, confirmant ses talents de chef d’orchestre dans une acoustique qu’elle ne connaissait pourtant pas. A ses côtés, les Chœurs des Opéras d’Avignon, Monte-Carlo, Nice et Monaco et les Chœurs d’enfants de Monaco coordonnés par Stefano Visconti témoignent eux aussi d’une rare homogénéité et sont très largement mis à contribution. Pari réussi pour Jean-Louis Grinda avec ce Mefistofele spectaculaire et bien senti qui a gagné le cœur des spectateurs.
 
Quelques heures auparavant, dans l’intimité de la Cour Saint-Louis, le récital de la soprano Karine Deshayes accompagnée par le pianiste Dominique Plancade, atteint un rare niveau d’excellence dans des airs de Gounod, Meyerbeer et Rossini, d’une aisance vocale confondante.
                    
Michel Le Naour

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(1) Deux livrets originaux (Otello et Falstaff) et un remaniement (Simon Boccanegra)

Boito : Mefistofele – Orange, Théâtre antique, 5 juillet ; prochaine représentations 9 juillet 2018 / www.choregies.fr
 
Photo © Philippe Gromelle

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