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Masterclasses de Patrizia Ciofi au Conservatoire Rachmaninoff – Maestra del canto – Compte-rendu

A l’instar de celle du geste pour l’art du verre, de l’orfèvrerie ou de la couture, l’art du chant fait appel à la maîtrise du son, au goût mais aussi à la subtilité et à une infinie délicatesse. Malgré leurs connaissances et leur pratique, tous les grands chanteurs ne sont pas des professeurs nés, de fins passeurs ; l'art de la transmission étant un don aussi rare que le talent. Pour ses premières masterclasses parisiennes, organisées au Conservatoire Serge Rachmaninoff (1), Patrizia Ciofi (photo) a démontré en l’espace de quelques jours quelle maestra elle est.
 
Six élèves sélectionnés par le directeur artistique des lieux, Siegfried Bernard Polvara, deux mezzos, trois sopranos et un baryton, sont ainsi passés entre ses mains expertes. Concentrée, à l'écoute, généreuse autant que disponible et d'une acuité à toute épreuve, la soprano a surpris par la vivacité et la justesse de ses remarques et plus encore la façon extrêmement claire et pertinente d'obtenir le meilleur résultat en un minimum de temps.
 
Avec des mots simples, des images concrètes – « Imagine la voix devant toi », « Joue avec les petites notes », « Prends le temps, n'expédie pas les notes » a-t-elle répété à Clémence Faber pendant le rondo de La Cenerentola – P. Ciofi parle abondamment de contrôle, de legato, de rondeur et n'hésite pas à chanter la note ou à montrer comment il faut tourner la voix pour mieux négocier un glissando.
 
Pendant le premier air de Donna Elivra « Ah chi mi dice mai » extrait de Don Giovanni, Ciofi met en garde la jeune Julie Prola, soprano de 25 ans, contre l'usage de la voix de poitrine qui « ne permet pas toujours de développer l'instrument » et de « penser déjà à l'aigu avant de l'émettre ». Attentive au texte et à l'expression, notamment dans les récitatifs, Ciofi montre à Louise Thomas, prometteuse mezzo, comment venir à bout de ces passages fondamentaux, véritables moments de théâtre où le personnage raconte quelque chose avant d'entamer l'air. A court d'idée pendant celui de Farnace « Ah, giacchè son tradito » du Mitridate de Mozart, la musicienne en herbe a très vite suivi ces précieuses directives, visualisant la voix comme si elle « avançait dans un tuyau », en restant simple dans l’élocution pour parvenir à caler ces phrases dans les mesures avant de pouvoir les dévier pour les rendre plus mouvantes et surtout plus vivantes.

© DR
 
Pour éviter que la phrase ne soit cassée, défaut repéré à plusieurs reprises, la professoressa Ciofi préconise de trouver le « bon focus » en arrondissant la première phrase de la cavatine du Barbier de Séville, « Una voce poco fa ». A Alessia Thais Berardi soprano ailé, elle suggère d'apporter plus de souplesse dans les coloratures, d’émettre certaines phrases le plus simplement possible pour éviter la fatigue, « Io sono docile » et de jouer avec les coloratures « qui ne sont jamais gratuites », pour exprimer un état d'âme : « il ne faut pas faire baroque avec Rossini, mais donner du sens, de la féminité, de la malice et de la séduction ».
 
Indécise, Jeanne Monteilhet possède une voix puissante, un peu « sauvage » et hésite entre deux tessitures : mezzo ou soprano. Après avoir travaillé « Pace, pace mio dio » de La Forza del destino de Verdi, puis s'être lancée d'une traite dans l'air des Larmes de Werther, Ciofi lui conseille d'aller là où elle se sent le mieux, soit le registre de soprano. Revenue avec le « Porgi amor » des Noces de Figaro, Jeanne fait preuve de sensibilité et de raffinement, attaque proprement, avec de la rondeur et chante piano, de manière très contrôlée l'air de la Comtesse.
 
Seule présence masculine de la session, Joachim Coffinier, baryton de 19 ans, doit parfaire son italien et éviter d'être trop nasal dans la Sérénade de Don Giovanni « Deh vieni alla finestra », comme dans le » Non più andrai » du Figaro des Noces. Handicapé par des habitudes, mais très réactif, il reprend, s'imprègne, utilise la mâchoire pour faire descendre sa voix, chante sur les voyelles, utilise les lèvres pour donner plus d'accent aux consonnes, en s'efforçant de penser aux barytons russes auxquels son timbre et ses affinités l'apparentent.
 
Si Ciofi ne se fait pas prier pour émettre une note ou une phrase afin d’illustrer son propos, elle se montre également tactile, touchant la mâchoire, les joues, plaçant ses mains sur le ventre ou le dos, demandant à plusieurs élèves de pousser le piano en chantant, pour qu'ils sentent leur diaphragme s'abaisser et puissent gagner en puissance et en longueur. Car il faut chanter avec ses muscles pour que l’air soit constant, parfois s'asseoir pour appuyer sur le diaphragme  –toujours lui ! – et l'obliger à rester large.
 
En déclarant avec la modestie qui la caractérise que « l’on fait toujours de la musique même quand on respire », Patrizia Ciofi a prouvé en quelques séances son formidable sens pédagogique, associant à une foule de détails techniques, de judicieuses remarques liées à l’interprétation, que ces étudiants tout ensemble enthousiastes, reconnaissants et privilégiés ont appliqué sans attendre lors du concert public de clôture, accompagné comme la totalité de ces cours par la fine pianiste, Marie-Christine Goueffon.
 
Malgré la tension et un stress bien compréhensible, les six poulains de l’écurie Ciofi ont chacun investi leurs airs et mis en œuvre les recommandations de leur chère professeure. A seulement 22 ans, Louise Thomas confiante et assurée sur toute l’étendue de son beau registre, a exécuté un remarquable « Amour viens aider ma faiblesse » de Samson et Dalila, Jeanne Monteilhet s'emparant des Adieux de la Didon de Purcell avec beaucoup d'émotion et des accents d’une réelle intensité. Précise dans les roulades et très à l'aise dans la prosodie française des Mamelles de Tirésias de Poulenc, « Non, Monsieur mon mari », Alessia Thais Berardi montre avec intelligence que la leçon de sa maestra a été retenue, se faisant plaisir tout en contentant l'auditoire avec agilité et espièglerie.
 
Solidement mis en place, l'aria d'Elvira de Julie Prola a fait grand effet, comme celui, redoutable, d'Orphée et Eurydice « Amour viens rendre à mon âme » déroulé avec un bel aplomb par la mezzo Clémence Faber, qui terminait brillamment le concert avec le rondo d'Angelina (Cenerentola) aux vocalises acérées. Il aura fallu peu de temps à Joachim Coffinier pour corriger quelques scories techniques et rectifier la position de sa voix afin d’obtenir une émission plus nette et une diction plus italienne, comme l'ont prouvé ses deux incursions mozartiennes, la première avec Figaro « Non piu andrai », mieux contrôlé et plus chantant, la seconde avec la sérénade de Don Giovanni à la ligne plus souple et au chant plus libéré.
 
A l'issue de cette masterclass, Patrizia Ciofi émue et heureuse des progrès enregistrés par ses élèves sur une période si rapprochée, a souhaité courage et détermination à ces jeunes dont elle a salué le talent, l’énergie et auxquels elle prédit un bel avenir, car selon ses propres termes « ils représentent le futur de l'opéra ». Elle les a également remercié pour tout ce qu’ils lui ont apporté en retour, car donner c’est également recevoir, c'est se poser des questions en tentant d'y répondre. La cantatrice, enfin, n'a pas oublié de leur rappeler combien cet art est beau, mais combien aussi il est difficile et que rien dans ce métier n’est jamais acquis : seul le travail permet d’atteindre un but et de rester là où l’on est arrivé.
 
François Lesueur

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(1) www.conservatoirerachmaninoff.com/
 
Paris, Conservatoire Rachmaninoff, les 5, 6, 8 et 9 (masterclasses) et le 10 février 2018 (concert public)

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