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Marion Motin, Xie Xin & Crystal Pite au Palais Garnier – Une rentrée à oublier – Compte-rendu

 
Rentrée même pas discordante au Palais Garnier, tant elle est fade, à l’exception de la pièce de Crystal Pite, toujours crépitante. C’était du temps d’Aurélie Dupont qui avait commandé ces deux œuvres, lesquelles arrivent aujourd’hui : sans doute peu concernée par l’héritage à défendre dans cette lourde et splendide maison, elle avait choisi le camp d’une modernité sans consistance. L’idée, pour cette réouverture, est à l’heure du jour puisque trois chorégraphes féminines occupent l’affiche. Et qui s’en plaindrait, le XXe siècle ayant vu l’éclosion des révoltes d’Isadora Duncan, et de Pina Bausch, les talents fabuleux de Martha Graham et de Carolyn Carlson, entre autres ?
 

The Last Call  © Julien Benhamou - OnP

Vulgarité pseudo-philosophique

Mais disparition des chaussons à pointe, des têtes d’affiche, car même si des étoiles figurent dans les distributions, nul n’est capable de les discerner en raison de la composition des pièces et de leur éclairage : donc bienvenue au collectif anonyme… Et d’emblée, on se demande avec The Last Call de Marion Motin, si on ne s’est pas trompé d’adresse : décor de cave,  musique de juke box, signée du « concepteur sonore » Micka Luna, une cabine où un garçon téléphone. Puis intervient un autre garçon, des affrontements les opposent bientôt, des personnages en vinyle flashy viennent éclairer de leurs laides couleurs cette nuit obscure à plus d’un titre. Et l’on se dandine, toutes ces silhouettes se balançant régulièrement jusqu’à ce que tout s’éteigne. La chorégraphe Marion Motin, qui a travaillé pour France Gall et Jean Paul Gautier, dit y évoquer le dernier appel téléphonique de son père, et le propos est touchant. Malheureusement, il ne fait pas mouche. Il faut savoir raconter, et ce n’est pas son cas. Si au moins, on choisissait quelques fresques préhistoriques en guise de décor, on aurait l’impression d’un retour aux sources du mouvement magique. Et l’on se  prend à regretter les terribles angoisses du vieux Jeune homme et la Mort, du tandem Petit-Cocteau, où nos faibles esprits comprenaient la descente aux abîmes du héros…
 

Horizon © Julien Benhamou - OnP

Ennui et grisaille
 
Après l’agacement de cette vulgarité pseudo-philosophique, l’ennui, avec la grisaille des décors de Hu Yanjun pour les groupes ondulants imaginés par Xie Xin, dans Horizon, sur la musique tristement répétitive de Sylvain Wang. Tout est brumeux dans cette succession d’entrelacements et de glissements, les bras battant l’air comme pour sortir du vide, et l’attention fléchit vite. Certes, abstraction, minimalisme sont des mots qui parlent aujourd’hui, mais tracer une ligne sur fond cotonneux ne suffit pas à faire franchir les barrières du réel, seulement celles de l’ennui. Quand le grand Saburo Teshigawara met deux heures à faire dix gestes, on a le sentiment d’avoir feuilleté un album de haïkus, touché à un essentiel difficile mais qui nous comble et nous régénère. Ce n’est pas le cas ici.
 

Jeremy-Loup Quer dans The Seasons'Canon © Julien Benhamou - OnP

Fluidité aussi accrocheuse qu’harmonieuse
 
Heureusement il y a Crystal Pite, une grande de notre temps même si elle aussi flirte parfois avec le tape-à-l’œil, notamment dans son provoquant Body and Soul, créé par le Ballet de l’Opéra en 2019. Voir s’animer un enchevêtrement de corps habilement superposés, les voir se détendre, se couler les uns sur les autres en de fascinantes chaines mobiles, les voir bondir et se resserrer, les voir surtout occuper l’espace scénique avec une fluidité aussi accrocheuse qu’harmonieuse est un plaisir rare. Ici, avec les Quatre Saisons de Vivaldi remaniées par Max Richter sous le titre The Seasons’Canon, sur les magnifiques fonds lumineux de Jay Gower Taylor et Tom Visser, on respire, on sent la nature et ses bouleversements, ses grands mystères, ses fourmillements. Pas de logique mais de vastes brassées d’émotion, qui mènent loin, et disent combien la dame est subtile et profonde. Passée par de nombreuses grandes institutions depuis sa naissance en Colombie Britannique, notamment chez William Forsythe, elle marque assurément le paysage chorégraphique contemporain et ce The Seasons’Canon, conçu en 2016 pour l’Opéra de Paris, est un précieux et original ajout au répertoire de la compagnie. Cette œuvre a sauvé la soirée de sa grisaille soi-disant moderniste. La troupe, elle, l’a assurée avec une belle vigueur…
 
Jacqueline Thuilleux
 

Marion Motin, Xin, Pite - Palais Garnier, le 23 septembre ; prochaines représentations les 26, 28, 29 septembre & les 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 10 & 12 octobre 2023 // www.operadeparis.fr/saison-23-24/ballet/marion-motin-xiexin-crystal-pite
 
Photo © Julien Benhamou - OnP

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