Journal

Manon à l’Opéra Bastille – Tombé du ciel – Compte rendu

Au fil des reprises, cette Manon qui ne nous avait pas convaincu en 2020 s’est bonifiée au point de nous faire réviser nos premières appréciations. La tentative de modernisation tentée par le metteur en scène Vincent Huguet, juste après la vision autrement plus sulfureuse d’Olivier Py (à l’Opéra-Comique en 2019, puis à Bordeaux et à Barcelone), dans le Paris des Années folles, nous était apparue bien timide. Mais il aura suffi d’un nouveau chef, le rayonnant Pierre Dumoussaud, conteur émérite et respectueux des chanteurs, à la direction passionnée, d’un couple-vedette divinement assorti et à quelques retouches bienvenues par rapport à la proposition initiale, pour modifier favorablement notre jugement.

 

Pierre Dumoussaud © Edouard Brane

À l'Hôtel de Transylvanie

Les éléments de décor Art déco qui servent de cadre au relais de poste, au logement de Manon et de Des Grieux et au Cour de la Reine de la scénographe Aurélie Maestre, mis en valeur par les éclairages tamisés de Christophe Forey, jouent le jeu de cette relecture qui trouve son accomplissement visuel dans l’Hôtel de Transylvanie devenu ici un club privé où l’argent et les pratiques sado-maso ont droit de cité. Seul le dernier acte situé devant un haut mur constellé d’impacts de balles, où ne finira pas fusillée, comme à l’origine, la pauvre Manon, cette liberté prise par Vincent Huguet en 2020 ayant cette fois été effacée, nous prive de l’émotion intrinsèque à cette scène pathétique. 

> Les prochains opéras de Massenet <

 

© Sébastien Mathé – Opéra national de Paris

 
Un portrait quasiment idéal

Alors que de la fosse émane un orchestre aux sonorités profuses et capiteuses, rythmées pas le geste sûr et hautement musical de Pierre Dumoussaud, Amina Edris et Benjamin Bernheim accomplissent un magnifique parcours. Déjà présente en 2020, la toujours juvénile soprano incarne avec un indestructible charme et une constante assurance toutes les facettes de cette héroïne qu’elle ne cesse d’interroger. La voix n’est pas large, la virtuosité est limitée mais les moyens dont elle dispose, les couleurs, la diction et la justesse des intentions sont suffisants pour dessiner un portrait quasiment idéal du personnage de Manon. Fragile, tendre, émouvante ou coquette, elle est également une excellente comédienne qui trouve en Benjamin Bernheim un partenaire de choix.

 

© Sébastien Mathé – Opéra national de Paris

> Les prochains concerts "Massenet" en Ile-de-France <
 
Phrasé solaire

Notre grand ténor français brille une nouvelle fois dans un rôle qu’il connait par cœur mais qu’il continue de travailler en profondeur. Il n’existe pas à l’heure actuelle de chanteur de son niveau pour chanter ce répertoire : le phrasé solaire semble tomber du ciel, la souplesse de la voix tient du miracle, alors que l’indestructible legato et la suprême qualité de l’émission qui lui permet de conclure sur de puissants aigus ou par d’indicibles piani (sublimes à Saint-Sulpice) laissent rêveur. Cela pourrait d’ailleurs nous suffire, mais c’est sans compter sur l’investissement scénique, la qualité de sa présence et le naturel qu’il insuffle à ce Des Grieux, trouffion séducteur, amant transi, puis jeune homme à la dérive. Tous les deux sont tellement crédibles que la salle se laisse porter par cette immarcescible vague.

Comme en 2022, Andrzej Filonszyk joue davantage Lescaut qu’il ne chante un rôle qui, à la différence d’un récent Marquis de Posa (Don Carlos), ne tombe pas avec la même évidence sur ses cordes, Nicolas Cavallier campe en quelques phrases un excellent Comte sans faire trop d’ombre à Nicholas Jones (Guillot) et à Régis Mengus (De Bretigny) tous les deux épatants. Emballants, les chœurs de l’Opéra, galvanisés par leur cheffe Ching-Lien Wu, feraient presque oublier les pétulantes Illanah Lobel-Torres (Poussette), Marine Chagnon (Javotte) et Maria Warenberg (Rosette), ainsi que le vétéran Philippe Rouillon toujours vif en Hôtelier. Une très belle soirée.

François Lesueur

 

Massenet : Manon – Paris, Opéra Bastille 6 juin ; prochaines représentations les 9, 11, 14, 17 & 20 juin 2025 // www.operadeparis.fr/saison-24-25/opera/manon
 
Photo © Sébastien Mathé – Opéra national de Paris

Partager par emailImprimer

Derniers articles