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​Manon à l’Opéra Bastille – Timide modernisation – Compte-rendu

A l'opéra il est désormais monnaie courante que les metteurs en scène se réapproprient les œuvres en transposant leurs intrigues dans une autre époque, ou en modifiant purement et simplement certains éléments fondamentaux : Tosca n'est ainsi plus contrainte de se jeter du Château Saint-Ange pour échapper aux sbires de Scarpia (Pierre Audi), Desdemona n'est plus étranglée par les propres mains d'Otello (Andrei Serban), et Carmen peut même décider de tuer Don José à bout portant au lieu d’être poignardée par ce dernier (Leo Muscato)...
Pour ses débuts à la Bastille, Vincent Huguet n'a pas résisté à l'appel de la relecture, situant la Manon de Massenet dans les années vingt à Paris, entre façades Art Déco, bars interlopes et soldats en uniformes qui finiront par exécuter la pauvre créature de l'abbé Prévost sous les yeux de son bien aimé. Rien d'insultant dans cette adaptation où la chaise à porteur, le coche et la figure de Louis XVI sont tout de même mentionnées, mais encore aurait-il fallu soigner davantage le cadre, donner plus de relief à la proposition et renforcer la direction d'acteur. Or la froideur de la scénographie (signée Aurélie Maestre), l'action traitée avec une certaine mollesse et le manque d'enjeu dramatique ne transfigurent à aucun moment le propos qui en reste au stade du concept, prétexte à une bien timide modernisation.
 

© Julien Benhamou

Hideux défilé de robes multicolores et de scènes de foule compactes, le Cours-la-Reine résiste à Vincent Huguet qui, faute d'inspiration suffisante, convoque entre les actes le fantôme de Joséphine Baker et recrée quelques scènes de music-hall, certes prisées entre les deux guerres, mais pesamment réglées.
Manon en bibi, en déshabillé, en robe du soir, en frac ou condamnée à mort (Clémence Pernoud), n'est jamais incarnée et l'on se demande comment un personnage si anecdotique, si anodin peut susciter autant de passion de la part de tous ces hommes qui la convoitent malgré tout. Dans le rôle-titre, Pretty Yende ne nous a pas plus convaincu que dans celui de Violetta sur la scène de Garnier en septembre dernier. La jeune femme chante correctement, mais que ce timbre est monocorde, que ce portrait est scolaire et sans imagination. « La petite table » a paru interminable, la virtuosité du Cours-la-Reine nous a fait l'effet d'une enclume, comme la passion frelatée de Saint-Sulpice et l'absence totale d'émotion du finale. Lorsque l'on a eu la chance d'entendre Fleming dans le rôle sur ce même plateau (en 1997), on ne peut que rester songeur !

Impression renforcée par la direction émolliente de Dan Ettinger  – que l'on a connu autrement plus inspiré – qui butte sur cette partition en diluant le tempo, sans parvenir à caractériser les atmosphères propres à chaque situation et à dynamiter l'écriture si singulière de Massenet. Benjamin Bernheim croit en revanche au personnage de Des Grieux et se donne toutes les chances vocales et théâtrales pour en livrer une incarnation complète, sincère et sensible. Et quelle voix lumineuse, quel phrasé caressant quelle diction onctueuse portée par une ligne souple et un aigu victorieux.
Ludovic Tézier est, sans surprise, le chanteur superlatif que nous connaissons dans ce rôle de Lescaut qu'il connaît parfaitement et qu'il exécute de savoureuse manière. Le Guillot de Morfontaine de Rodolphe Briand, le Brétigny de Pierre Doyen, et le Comte des Grieux de Roberto Tagliavini sont à leur juste place, tout comme Cassandre Berthon, Alix Le Saux et Jeanne Ireland pétulantes Poussette, Javotte et Rosette entourées par les solides chœurs de l’Opéra préparés comme toujours par José Luis Basso.
 
François Lesueur

Massenet : Manon  – Opéra Bastille, 4 mars ; prochaines représentations 10, 13, 17, 22, 25, 28, 31 mars, 3, 7, 10 avril 2020 // https://www.concertclassic.com/concert/manon-0
 
Photo © Julien Benhamou

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