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Lyon - Compte-rendu : blessures de l’âme


Trois metteurs en scène pour nous donner leur vision des blessures de l’âme féminine. A Laurent Pelly est confié le diptyque Château de Barbe Bleue et Voix Humaine. Une projection en noir et blanc des pentes de la Croix-Rousse, quelques éléments mobiles des différentes pièces d’un appartement serviront à souligner l’état de délabrement mental de l’héroïne de La Voix Humaine. Félicity Lott, souveraine, incarne cette femme délaissée, qui lutte désespérément pour retenir un amour déjà défunt. Jamais incarnation scénique ne fut à ce point aboutie. Diction parfaite, graves d’un grand naturel, facilité des aigus, souffle incommensurable. Ovations d’un public conquis et déchaîné. Un triomphe absolu !

Le Château de Barbe Bleue, avec son décor mouvant qui enserre les deux protagonistes jusqu’à l’absorption finale de Judith, donne à ce huis clos toute sa dimension tragique. Peter Fried (Barbe-Bleue) incarne un personnage froid et manipulateur dans ses premières interventions, La cuirasse se brise à partir de la cinquième porte (le Lac de Larmes) où le personnage laisse enfin transparaître son humanité devant l’inéluctable qui se prépare. La voix est somptueuse, avec de magnifiques graves et des aigus solaires, et illustre parfaitement les propos du metteur en scène. Hedwige fassbender, campe une Judith au timbre fruité, à la fois amoureuse et séductrice. Une ligne de chant jamais brutalisée lui permet de couronner d’un ut flamboyant la porte ouvrant sur le domaine de Barbe-Bleue.

Le jeune chef slovaque Juraj Valcuha s’impose comme l’’autre vedette incontestée de ces deux ouvrages en un acte. Il tire de l’orchestre des couleurs moirées. Dans Poulenc, les cordes chantent avec une douceur suave, les cuivres rugissent avec une justesse implacable, tandis que chez Bartok les inflexions que le maestro imprime aux pupitres des cordes, de même que les moirures du célesta et des harpes, engendrent ce climat délétère qui préside à l’éternelle nuit où sera enfermé le héros.

Vision en noir et blanc, digne des meilleurs films de Renoir, que celle du Tabarro selon David Poutny. Un quai sombre, au milieu duquel trône un container, où les différents protagonistes du drame évolueront avec une direction d’acteurs poussée à l’extrême. Dans cet univers glauque, Michele ploie sous le poids de la culpabilité de la perte d’un enfant qu’il aurait pu éviter. Sublime Laurent Naouri au timbre noir, aux mezza voce suaves, ainsi qu’à la projection éblouissante (sa scène finale vous plaque sur votre siège).

Timbre pulpeux, aux aigus tranchants avec une ligne de chant d’une grande justesse, Hélène Bernardy offre de Giorgetta un portrait fouillé, passant de l’abandon lascif dans les bras de Luigi, à la compassion qui l’étreint devant l’homme quelle aime encore. Scène finale sublime que ce couple qui se retrouve et quitte ce lieu maudit en se tenant par la main. Luigi possède la voix ensoleillée et mordante de Jean-Pierre Furlan. Aigus ravageurs, Morbidezza digne de la grande école italienne. Personnification idoine que ce bellâtre qui passe avec une conviction confondante de l’extase amoureuse au machisme le plus éhonté. Frugola au timbre suave et émouvant de Ceri williams. Le reste de la distribution s’avère magnifique de probité.

Avec Djamileh (photo) petit bijou trop peu joué de Bizet, Christopher Alden tombe dans les poncifs éculés que l’on croyait ne plus voir sur une scène lyrique.

Que dire de ce Sultan en robe de chambre usée qui passe son temps à visionner des vidéos en sirotant des canettes de bière. Idem pour cette Djamileh en nuisette qui snife de la coke et accepte une tournante proposée par Haroun, et comble de l’ironie, pendant la danse orientale, Haroun et ses loosers d’amis, visionnent celle-ci sur une télévision omniprésente. Il faudrait également que l’on nous explique le besoin de changer la fin de l’histoire. En effet Haroun après avoir reconnu la véracité des sentiments qu’il éprouve pour Djamileh, ne trouve rien de mieux que de l’étrangler. Stupide !

Avec sa voix ambrée, Janja Vuletic, se sort admirablement de son personnage. Jean-Pierre Furlan (Haroun) fait ce qu’il peut dans cette débâcle… Laurent Naouri manque de brillant dans le personnage de Splendiano, heureusement ces deux artistes montreront leurs vraies possibilités dans Il Tabarro. Direction brouillonne d’Eivind Gulberg Jensen dans Djamileh, élégante, racée, puissante avec des cordes soyeuses, des cuivres ravageurs, ainsi qu’un soutien admirable des chanteurs dans Il Tabarro. Un diptyque à moitié réussi.

Bernard Niedda

Opéra de Lyon, « Amour soupçon », La Voix Humaine / Barbe Bleue le 28 avril, Djamileh / Il Tabarro le 29 avril 2007)

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Le programme détaillé de l’Opéra de Lyon

Photo : Franchella/Stofleth

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