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Lucile Dollat à Radio France – La nouvelle organiste en résidence inaugure la saison d’orgue – Compte-rendu

 
 
Comptant un peu moins de récitals d'orgue proprement dits que les saisons précédentes – mais le Grenzing participe aussi à d'autres rendez-vous de l'Auditorium –, la saison d'orgue s'est ouverte avec la prise de fonction officielle, à la suite de Thomas Ospital puis de Karol Mossakowski, de la nouvelle organiste en résidence : Lucile Dollat (photo), un nom qui depuis deux ans s'est imposé par une activité débordante se doublant d'un  répertoire d'une formidable exigence et diversité pour une jeune musicienne – la valeur n'attend pas…
 
Conformément à la politique de commandes d'œuvres nouvelles de la Maison ronde, ce concert aurait dû se refermer sur une création de Marc-André Dalbavie. Celle-ci n'ayant pu être achevée à temps – partie remise –, le programme s'en est trouvé modifié. Présentée par Benjamin François, la soirée était retransmise en direct sur France Musique – à réécouter sur le site de la chaîne (1). Force est de dire que, dans l'Auditorium où la présentation des œuvres à l'antenne n'était pas retransmise, les intervalles imposés entre les pièces ne pouvaient que briser la continuité de l'atmosphère du concert, que la musicienne chaque fois devait recréer à l'adresse de son public « physique ».

Musique française, pour orgue ou transcrite. Et pour commencer une Apparition de l'Église éternelle de Messiaen plus volontaire, presque hâtive, qu'extatique et mystérieuse – question d'acoustique, mais pas seulement. L'énergie (canalisée), à ce moment d'une carrière en pleine affirmation, est l'un des aspects dominants du jeu de la musicienne. S'ensuivirent les fameuses Trois Danses de Jehan Alain, connues à travers la transcription pour orgue de cette œuvre pour grand orchestre disparue – l'histoire en est des plus complexes (2). Marie-Claire Alain a longtemps eu de facto une sorte de monopole sur l'approche de la musique de son frère, coulant ces Trois Danses dans un même souffle, un même élan, presque d'un seul tenant malgré l'extrême diversité du contenu de ce triptyque majeur.

 

© Djibrann Hass
 
Rien de plus naturel pour les interprètes d'aujourd'hui que de faire leurs ces pages si riches de potentialités. Le ton fut donné par un étrange étirement du temps dans les échanges initiaux de Joies, la première danse, avec des suspensions accentuant les contrastes de tempo. On y perçut, en dépit d'un soin on ne peut plus drastique apporté au rythme, une velléité de sur-respiration, parfois suspendue, désir d'interprète et volonté, peut-être, de donner du temps à l'acoustique de l'Auditorium, que l'on sait problématique s'agissant d'orgue.
 
Quant au Grenzing, il fut utilisé avec panache, surtout si l'on songe que c'est le premier concert de la musicienne à ces claviers, avec la pression que l'on peut imaginer. La première partie se referma sur une séduisante improvisation, joliment personnelle, jouant sur les extrêmes – mouvement obstiné dans le suraigu sur basses profondes, ces guirlandes d'une lumineuse vivacité contrastant avec une nuée mouvante de tenues : très beau recours à la fonction sostenuto des différents claviers.
 
À l'œuvre prévue en création se substitua le Choral n°2 de Franck, placé en début de seconde partie. Les fonds du Grenzing sont trop mordants et les anches trop drues pour évoquer une pâte Cavaillé-Coll : Franck est l'exemple même de ces musiques obligeant l'interprète à y réinventer une manière de les aborder. Et tant la palette que la richesse de Franck permettent toujours de trouver une solution viable, autre. Mais on y retrouva les mêmes contrastes accentués et autres suspensions du flux, pour davantage d'ampleur et de respiration, qui tiennent donc plus, se dit-on, au tempérament de l'interprète qu'à une absolue nécessité qui résulterait de l'œuvre elle-même.
 
Les deux dernières pièces étaient esthétiquement les plus en phase avec la nature de l'orgue de l'Auditorium : Joie et clarté des Corps glorieux de Messiaen, parfait sur le plan des timbres et répondant avec éclat au tempérament rythmique de Lucile Dollat. Puis une transcription flamboyante, signée Lionel Rogg, d'Alborada del gracioso des Miroirs pour piano de Ravel (transcrire, c'est déjà ce qu'avait fait le compositeur dans sa version orchestrale). Un feu d'artifice brillantissime, cheval de bataille de l'interprète, avec toute l'acidité voulue, une instrumentation nerveuse et acérée, dans ce portrait à charge du malheureux héros. Une page à haut risque, assumé à la perfection. Une fois la pression retombée, la musicienne offrit en bis la Sonatine d'introduction, molto adagio, de l'Actus tragicus BWV 106 de Bach, lyrique apaisement sur les jeux doux, sans vraiment baisser la garde côté rythme, obstiné dans l'accompagnement.
 

Michel Roubinet

(1www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/le-concert-du-soir/lucile-dollat-joue-olivier-messiaen-jehan-alain-cesar-franck-et-maurice-ravel-7132614
 
(2) Programme de salle
fr.calameo.com/read/006296452adac3acc727a?page=1
 
Site de Lucile Dollat
www.luciledollat.fr

Paris, Auditorium de Radio France, 29 septembre 2022
 
Photo © Djibrann Hass

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