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Lucia di Lammermoor à l’Opéra Bastille – Sacrée Lucia ! Compte-rendu
Certains spectacles provocateurs, polémiques ou simplement originaux résistent mieux que d'autres au temps. La Lucia imaginée par Andrei Serban en 1995 fait partie de ceux-là. Cadeau de rupture empoisonné, le metteur en scène y réglait ses comptes avec celle qu'il avait aimée, June Anderson, or cette dernière pourtant soumise à rude épreuve, allait prouver à elle-même et à son mentor, qu'elle était capable de dépasser les limites qu'il croyait lui avoir imposées et offrir à son public l'une de ses incarnations les plus abouties (renouvelée en 2000). D'autres après elles ont relevé le défi scénique, et vocal, avec des bonheurs divers, de Mariella Devia à Natalie Dessay, mais l'on attendait avec beaucoup d'impatience la venue de Patrizia Ciofi. Après six ans de silence dans ce rôle qu’elle a marqué d'une pierre blanche, la diva italienne redoutait de ne pas être à la hauteur de l’événement. C'était sans compter sur le pouvoir étrange de cette production qui, au lieu d’anéantir le rôle-titre en l'obligeant à suivre une complexe partition scénique, le libère, au point de lui faire oublier ces contingences et de chanter finalement avec le plus grand naturel.
Ciofi-Lucia, étonnante fildefériste qui évolue sur un plateau parsemé d'embûches, campe ainsi pour la première fois, une jeune femme enjouée, mue par l’amour qu'elle voue à Edgardo et plus seulement cette héroïne crépusculaire, vaincue à l'avance par un destin prémonitoire. Son frère profite d'elle et de sa fragilité pour sauver ses intérêts, la violence, le harcèlement et l'usage de drogue la menant au meurtre dans un accès de démence, indépendant de sa volonté et de sa prétendue folie.
Rien d'appliqué dans son jeu vif, aérien et d'une incroyable assurance : tout semble décanté, vécu librement. A cette souplesse scénique répond une époustouflante maîtrise vocale. La ligne de chant au galbe parfait s'impose dès le « Regnava nel silenzio », le timbre velouté aux couleurs infinies irradie le « Verranno a te », plus loin le poétique legato soutient le douloureux « Soffriva nel pianto », la cantatrice réussissant à faire le vide autour d'elle et à concentrer l'attention au cours d'une scène de la folie chantée archet à la corde, dans la plus pure tradition belcantiste, jonglant en virtuose accomplie de la moindre vocalise, pour transcender ce délire expressif en émotion pure. Une performance saluée par l'ovation d'une salle debout, heureuse et reconnaissante : un véritable sacre pour cette artiste hors pair.
Très bel accueil également réservé à Vittorio Grigolo, qui faisait ses débuts à la Bastille dans le rôle d'Edgardo qui lui va comme un gant. Elégant, nuancé et très investi, le ténor italien se donne sans compter, surveillé de près par Maurizio Benini, dont la direction vibrante et profonde apporte un indispensable contrepoint. Ludovic Tézier possède le profil vocal d'Enrico, la noirceur d’âme étant masquée par la noblesse de son chant, mais la présence scénique lui fait défaut. Orlin Anastassov confond Raimondo avec Boris Godounov, Alfredo Nigro est inaudible en Arturo, tandis que Eric Huchet (Normanno) et les chœurs de l'Opéra remplissent dignement leur contrat. Une première enthousiasmante.
François Lesueur
Donizetti : Lucia di Lammermoor – Paris, Opéra Bastille, 7 septembre 2013, prochaines représentations les 10, 13, 17, 20, 23, 26, 29 sept. et les1er, 4, 6 et 9 octobre 2013 www.operadeparis.fr
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Photo : DR
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