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Lucia di Lammermoor à l’Opéra Bastille – Inoxydable – Compte-rendu

L’une des particularités de cette Lucia di Lammermoor, créée, non sans une certaine hostilité en 1995, est qu’elle proposait enfin la quasi-intégralité de l’opéra de Donizetti. Confiée à la soprano June Anderson comme un cadeau de rupture empoisonné, cette production controversée allait malgré tout s’imposer et devenir l’un des piliers du répertoire, souvent remontée. On s’interrogera tout d’abord sur les raisons qui ont poussé à priver le public du grand duo « Orrenda è questa notte », entre Edgardo et Enrico au second acte, scène essentielle qui précède la folie de Lucia, comme un retour à une « mauvaise » tradition ? Et l’on ne manquera pas de noter ici et là les libertés prises par rapport à la mise en scène originale, que seuls les spectateurs de la première heure auront relevées.
 

Enrico (Mattia Olivieri) & Brenda Rae (Lucia) © Emilie Brouchon - OnP

Inutile de revenir sur la vision d’Andrei Serban et sa transposition des brumes écossaises au décor étouffant d’un asile d’aliénées au temps de Charcot, par moment scabreuse mais le plus souvent justifiée. Echelles, balançoire, cordes et agrès, portiques et praticables accompagnent comme autant d’obstacles le destin tourmenté de l’héroïne, contrainte à l’obéissance forcenée de son entourage qui la conduira au meurtre, puis à la folie. Sommet du bel canto romantique, cet Himalaya vocal, qui demande à la titulaire d’authentiques prouesses techniques et expressives, se voit ici doublé d’une véritable bravoure physique. Après June Anderson, comédienne pourtant empruntée, qui s’était ici surpassée (en 1995 et en 2000) et demeure à ce jour LA référence, Brenda Rae reprend le flambeau. La cantatrice américaine est une habituée du rôle qu’elle chante avec conviction et un bel arsenal technique. Très à l’aise scéniquement – bien qu’on lui ait interdit de descendre par l’échelle à son entrée et de rendre l’âme tout en haut du portique renversé – elle offre une composition attachante du personnage. Sa voix nuancée, mais à la texture peu dramatique, n’a pas toujours le volume espéré et l’on s’étonne que sa folie pourtant conduite avec goût, ne nous transporte pas autant qu’elle le devrait et s’apparente finalement à un pur exercice de style.
 

Brenda Rae (Lucia) © Emilie Brouchon - OnP

En très bonne condition vocale, Javier Camarena campe un Edgardo naturel et passionné dont le souffle, la diction et l’expression font oublier une présence théâtrale limitée. Pour ses débuts sur la scène de la Bastille, le baryton italien Mattia Olivieri fait sensation dans le rôle d’Enrico qu’il chante d’une voix claire et assurée, au phrasé incisif et à l’aigu brillant, jouant avec autant de sensibilité que de subtilité un être résolument odieux : allez vite le découvrir ! Beau Raimondo d’Adam Palka, parfait Arturo de Thomas Bettinger, Eric Huchet (Normanno) et Julie Pasturaud (Alisa) formant un couple d’efficaces comprimari.
 

© Nicolas Roses

Dans la fosse, Aziz Shokhakimov — qui fait ses débuts à l'Opéra de Paris – dirige avec rigueur cette pièce maîtresse de Donizetti, attentif à l’équilibre entre la masse orchestrale et les voix. Si sa lecture est fine et élégante, elle manque encore un peu d’ampleur et de personnalité, qualités qui devrait rapidement s’affirmer au contact de pupitres aussi inspirés que ceux de l’orchestre de l’Opéra de Paris.

François Lesueur 

 

 Donizetti : Lucia di Lammermoor – Paris, Opéra Bastille 18 février ; prochaines représentations 21, 23, 26 et 28 février, 4, 7 & 10 mars 2023 / www.operadeparis.fr/saison-22-23/opera/lucia-di-lammermoor

Photo © Emilie Brouchon - OnP

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