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Louise à la Bastoche


« Pour la première fois à l’Opéra de Paris ». Délicieux maquillage typique de Gérard Mortier. « Pour la première fois à Bastille » aurait été plus juste : Louise fut l’un des piliers de l’Opéra Comique lorsque cette auguste maison qui semble vouloir sortir enfin de son silence – la saison prochaine est alléchante - était l’un des deux fleurons de l’Opéra de Paris. Mais si l’annonce un peu fausse aura fait venir le chaland, pourquoi pas ? En tout cas tout un certain public y est revenu. Beaucoup de cheveux blancs à Bastille, et l’on fredonnait ça et là, on se souvenait.

Avec raison, car Louise mérite son succès, partition ample, scrupuleusement orchestrée, durchkomponierte à la manière de Wagner, Charpentier s’étant lui même concocté son livret qui n’a pas tant vieilli que cela. Musique souvent troublante, où le symphoniste met, durant de grands interludes et préludes, un art d’évocation qui nous ressuscite le Paris du tournant du siècle, avec ses cris de marchands de rue et ses échos de valses et de quadrilles : toute la rumeur d’une ville prise dans un écrin de poésie naturaliste. André Engel a transcrit tout cela sans un remous dans le Paris du début des années cinquante, optant pour des décors solides qui garantiront à cette production parfaite des années d’utilité.

Le carrefour de la première scène de l’Acte II se transforme avantageusement en la station de métro Montmartre, Julien et Louise ont consommé leur nuit d’amour sur les toits que Nicki Rieti avait déjà employés dans Cardillac, l’atelier de couture ou la salle des fêtes sont d’un hyperréalisme assumé et la belle idée qui place tout le premier duo des amants dans l’escalier de service d’un immeuble communautaire autorise une circulation des sentiments comme des personnes aussi fluide que prégnante. Dans ces somptueux dispositifs éclairés avec une précision qui pousse à l’irréel – ces lumières qui diffusent par les fenêtres - Engel met une direction d’acteur irréprochable, pimentant le tableau du métro d’une très jolie danse entre un noir (ex GI ?) et une grisette, réglant les désordres des bohèmes et de l’élection de le Muse de Montmartre avec virtuosité et à propos.

Distribution proche de l’impeccable : Mireille Delunsch se glisse dans Louise sans que l’on voit une seule couture à cette métamorphose : élégante, hésitante et volontaire à la fois, la comédienne est absolue, la voix fraîche et très souple pour les I et II, mais éraillée hélas dés Depuis le jour et jusqu’à la dispute finale avec le père ; c’est qu’il faut remplir Bastille et cela userait n’importe quelle voix dans un rôle où l’aigu est si sollicité. Mine de rien, Charpentier écrit difficile, Mary Garden le lui reprochait assez d’ailleurs.

C’est une petite tierce aiguë qui manque justement à Paul Groves pour rendre parfait son Julien emporté et vaillant, si finement joué et si splendidement chanté, avec ce français sonore et précis. Idéalement, Julien ce serait plutôt Yann Beuron que Roberto Alagna pour l’exacte typologie vocale, mais Groves a singulièrement réussi son pari, au point qu’on aimerait bien l’entendre dans la suite de Louise, ce Julien justement, qui est tombé dans les oubliettes, le ténor choisi par Charpentier ayant fait défection après une paire de représentations.

Formidable Jane Henschel, terrible lorsqu’elle vient récupérer Louise dans ses habits de pré-veuvage, incarnation sidérante, assez inoubliable, d’une chanteuse qui se fait de plus en plus indispensable dans les rôles de composition. Père juste assez usé de José van Dam, qui parle un rôle que Charpentier ne fait pas vraiment chanter – et pourtant André Pernet le chantait en diable, y rajoutant des sous entendus splendidement mouillés d’harmoniques : ici le débit est sec mais l’acteur compense ce que la voix raidit. Parmi la cohorte des silhouettes, mention spéciale à l’Irma de Marie-Paule Dotti, au chiffonnier de René Schirrer, et un grand coup de chapeau à Luca Lombardo, Noctambule et Pape des Fous percutant qui effleure l’ombre du grand Bruant, son modèle avoué par Charpentier.


Il manque un peu pour la scène des couturières ou l’Election l’esprit d’une troupe qui était le secret de l’Opéra Comique. Cambreling tourne d’ailleurs le dos à cet esprit opéra comique – il n’a pas toujours fait ainsi jadis, à La Monnaie ou dans son enregistrement(1) – et respire très (trop ?) largement les épisodes symphoniques. Louise se trouve du coup prise dans des habits un peu larges pour elle. Mais Cambreling assume la stature somme toute imposante de ce « roman musical en quatre actes » dénomination qui rappelle qu’alors la collaboration - concurrente au travail de Charpentier - de Zola et de Bruneau était à son zénith. Il va jusqu’au bout de son propos avec un art de faire sonner l’orchestre, de donner une profondeur de champ à l’action dramatique qu’une certaine tradition avait gommés. Relecture intransigeante et révélatrice qui donne toutes ses chances à Louis e de se refaire le public abondant- et fidèle - qui fut le sien jusque dans les années 1960.

Jean-Charles Hoffelé

Louise de Gustave Charpentier, Opéra Bastille, le 30 mars, puis les 3, 6, 9, 12, 15 et 19 avril.

Programme détaillé de l’Opéra Bastille

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Photo : Opéra de Paris / Eric Mahoudeau.

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