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​ L’Opéra de quat’sous au Festival d’Aix-en-Provence 2023 – Des clochards chez les bourgeois – Compte-rendu

 

Il fallait oser, Pierre Audi l’a fait ! Ouvrir, avec le sulfureux Opéra de quat’sous du duo Weill/Brecht, la 75e édition du Festival de musique et d’art lyrique de la très bourgeoise Aix-en-Provence, ville de robe de surcroît, qui plus est devant un parterre fortuné, entre autres de décideurs rassemblés dans la cité provençale pour des rencontres économiques de haut niveau, pouvait bigrement ressembler à de la provocation. D’autant plus que le spectacle avait pour cadre la mythique cour de l’Archevêché où, en 1948, s’envolaient pour la première fois les notes d’un Così dirigé par Hans Rosbaud, qui était une découverte et presque une révolution à cette époque, mais qui installait Wolfgang le salzbourgeois et ses partitions dans sa résidence secondaire estivale. Exit Wolfgang (momentanément puisque dès le 6 juillet il y revient, avec Così justement (1)) et bonjour Kurt ; les temps changent et qu’importe le flacon pour dénoncer des situations et affirmer des convictions ; nouvelle révolution !
 

© Jean-Louis Fernandez
 
Sur ces terres chargées d’un riche passé septuagénaire musical, lyrique, esthétique, et parfois engagé, Thomas Ostermeier, le metteur en scène de cet « opéra de clochards assez cheap pour que les clochards puissent se le payer », ne manque pas d’appuyer là ou ça peut faire mal. A tort ou à raison ? Chacun choisira. Mais sa « surprise » annoncée au final, un air inédit consacré à la lutte que chacun doit mener actuellement contre « les nouveaux fascismes » ne laisse pas indifférent.
Avec cet Opéra de quat’sous, Ostermeier signait sa première contribution « opératique », qui ne laissera pas un souvenir impérissable. Quatre micros en devant de scène, une structure métallique derrière servant de praticable, de passerelle et de prison, voilà pour le décor, minimaliste. Après, on gère les entrées et les sorties, quelques actions de plus ou moins bon goût, le tout sous un ciel de projections où la lune de Soho fréquente les images des années 1920/1930 de manifestations populaires entre autres. Diversement apprécié, aussi, le passage à la langue française, malgré une traduction des plus intelligente d’Alexandre Plateau, qui, à notre sens affadit des airs frappés au sceau du cabaret allemand des années 1920.
 
© Jean-Louis Fernandez
 
Mais il y avait deux cartes maîtresses pour cette production festivalière aixoise, dont une, imparable : la troupe de la Comédie Française. Une dizaine de comédiens rompus à l’art de la déclamation et qui, depuis un an, chantent et dansent pour servir ici Brecht et Weill et donner corps, voix et âmes aux petites frappes, prostituées, mendiants et autres protagonistes dans les bas-fonds de Soho où « l’humain de peut vivre qu’avec le crime ». Une troupe qui donne toute sa dimension sociale et politique à cette pièce y insufflant passion et dynamisme sans fard et sans retenue. C’est cru, abrupt, cruel et sans concession, lutte de gangs, lutte pour la survie de marginaux et de miséreux. Birane Ba, Mac-la-Lame, énorme présence, est aussi longiligne et sec que le fer de son sureau, Christian Hecq, Peachum, plus que réaliste dans le registre malsain, et Benjamin Lavernhe, Brown, idéal en flic corrompu. Somptueuse distribution du côté féminin avec l’idéale Polly de Marie Oppert qui, au fil de ses airs, nous rappelle qu’elle a donné dans le chant classique, Elsa Lepoivre, immense de présence elle aussi, Véronique Vella étonnante Celia Peachum et Claïna Clavaron, violemment émouvante.
 
Maxime Pascal © Meng Phu

Quant à la seconde carte, elle est multiple puisqu’il s’agit de Maxime Pascal et de ses musiciens du Balcon. Le chef relit et modernise en la transcendant la partition de Weill. Avec la complicité d’admirables instrumentistes, il donne un souffle nouveau à l’accompagnement d’un propos social et politique quelque peu détonnant dans l’enceinte de l’Archevêché aixois.
 
Michel Egéa

 

(1) festival-aix.com/fr/programmation/opera/cosi-fan-tutte-1
 
Brecht-Weill : L'Opéra de quat'sous - Aix-en-Provence, Théâtre de l'Archevêché, 4 juillet ; prochaines représentations les 5, 7, 10, 12, 14, 18, 20, 22 & 24 juillet 2023. En direct le 10 juillet à 20 h sur France Musique et le 12 juillet sur Arte Concert // festival-aix.com/fr/programmation/opera/lopera-de-quatsous
 
Photo © Jean-Louis Fernandez

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