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L’Ombre de Friedrich von Flotow au Théâtre Grévin – Un retour mérité et réussi – Compte-rendu
Compositeur d’origine germanique, Friedrich von Flotow (1812-1883) présente la particularité d’avoir étudié au Conservatoire de Paris (avec Reicha et Pixis), avant de mener une bonne partie de sa carrière dans la capitale française. Il signa ainsi, sous le nom de « François de Flotow », un certain nombre d’opéras et opéras-comiques français qui en leur temps connurent le succès. Par la suite, son œuvre devait tomber dans l’oubli, hormis l’opéra-comique romantique Martha, repris de loin en loin.
Avec L'Ombre, c’est donc à une redécouverte que convie l’imaginative association « Parole et Musique », à qui nous devons la programmation d’une autre rareté en 2020 : La Colombe de Gounod (1). La partition de Flotow avait été créée à l’Opéra-Comique le 7 juillet 1870. Mauvais moment ! La guerre entre la France et la Prusse devait en effet se déclarer le 19 juillet suivant, condamnant à la disparition parisienne un ouvrage signé d’un Allemand – il sera repris à Vienne le 10 novembre 1871 sous le titre Sein Schatten (Son ombre).
Charles Mesrine (Fabrice), Clémentine Decouture (Madame Abeille) & Nicolas Bercet (le docteur) © Jean Fleuriot
Le livret, du prolifique Henri de Saint-Georges, collaborateur favori du musicien, conte les mésaventures de personnages en fuite à la suite de la guerre des Cévennes et la Révocation de l’Édit de Nantes en 1707, leurs retrouvailles, apparues comme une ombre selon l’héroïne face à son prétendant – d’où le titre, avec une fin de mariage heureuse. C’est surtout la musique qui séduit, « simple et gracieuse, sagement écrite, empreinte de distinction et de vérité », selon les mots de Berlioz dans son commentaire de l'opéra-comique L'Esclave de Camoëns (1843). Les airs et ensembles se succèdent dans une veine au lyrisme charmeur, qui pourrait rappeler un Gounod revu par Offenbach (tous deux amis de Flotow). Une œuvre qui méritait assurément de faire son retour.
Flore Royer (Jeanne) © Jean Fleuriot
La production de « Parole et Musique » restitue l’intégralité de la pièce, hors quelques coupures dans les dialogues parlés, dans une version de concert avec piano. L’écrin évocateur et d’une belle acoustique du Théâtre Grévin se révèle tout à fait approprié à ce qui est devenu un opéra de chambre. Les quatre chanteurs (nul chœur dans cet ouvrage) se donnent entièrement et répartissent leurs rôles avec un jeu d’une réelle présence. Le ténor Charles Mesrine, que nous avions déjà apprécié en d’autres occasions, s’empare du rôle clef de Fabrice, le comte fuyard, avec une projection d’un bel allant. La mezzo Flore Royer exprime l’enamourée Jeanne par des prouesses de colorature à l’image du rossignol qu’elle évoque. Le baryton Nicolas Bercet campe le Docteur de l’histoire d’une ferme faconde, tandis que Clémentine Decouture élance pleinement son soprano pour Madame Abeille, l’entremetteuse. Et tous se réunissent dans des ensembles, du duo au quatuor vocal, attaqués dans un parfait équilibre, pour cette partition qui porte si bien les voix.
de g. à dr. : Françoise Tillard, Clémentine Decouture & Flore Royer © Jean Fleuriot
L’accompagnement de piano (dans la réduction de l'auteur), revient à Françoise Tillard, au jeu d’une belle expressivité, de même que la direction artistique d’une œuvre qu’elle a eu l’excellente idée de sortir de l’oubli. On passe ainsi du mélodrame à la fête, de l’orage à des moments dramatiques puis à l’apaisement, au cours d'un ouvrage très évocateur. Un retour vivement et ardemment rendu !
Pierre-René Serna
(1) www.concertclassic.com/article/la-colombe-de-gounod-lespace-ararat-bel-envol-compte-rendu
Flotow : L’Ombre – Paris, Théâtre Grévin, 24 juin 2024
Photo © Jean Fleuriot
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