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Lisa Batiashvili, Yannick Nézet-Séguin et le Philadephia Orchestra à la Philharmonie de Paris – Étreinte lyrique – Compte-rendu

 
Œuvres archi-rebattues, solistes très prévisibles : les programmes des orchestres en tournée pêchent trop souvent par leur banalité. Raison de plus pour saluer bien bas l’originalité des deux soirées que le Philadelphia Orchestra et Yannick Nézet-Séguin, son directeur musical depuis une décennie, viennent d’offrir au public parisien. La première comportait certes la fameuse Symphonie « Héroïque » en deuxième partie, mais précédée de Knoxville : Summer of 1915 de Samuel Barber et d’une création française de Valérie Coleman, avec la soprano Angel Blue. Quant au second concert, tout instrumental, il réunissait le 1er Concerto de Szymanowski, œuvre aussi somptueuse que rare en public, le Poème de Chausson, connu mais moins joué qu’à une certaine époque, et la 7e Symphonie de Dvorak. Un programme passionnant, de surcroît servi par l’une des plus grandes violonistes de ce début de siècle : Lisa Batiashvili.
 

© Todd Rosenberg

Rien de l’affrontement soliste/orchestre propre aux ouvrages de l’époque romantique dans l’Opus 35 du Polonais. Ce dernier installe une relation toute différente au cours d’une composition (de 1916, créée en 1922) d’un seul tenant. L’effet et l’épate n’ont pas leur place dans une musique mue une immense respiration panthéiste à laquelle la violoniste adhère avec la complicité d’un chef et d’une formation continûment à son écoute. Intonation parfaite, sidérante longueur d’archet, sonorité d’une incroyable pureté : aucune froideur pourtant mais tout au contraire, au cœur de ce jeu, une ardeur aussi intense que dominée.
 

© Todd Rosenberg

Une même puissante étreinte lyrique entre les interprètes et la musique caractérise le Poème d’Ernest Chausson. On l’a souvent entendu avec des coloris très fin-de-siècle – d’un charme indéniable – ; Batiashvili et Nézet-Séguin optent pour des teintes plus vives et une manière très épurée qui n’altèrent aucunement sa dimension charnelle et narrative. Ovation amplement justifiée, suivie deux bis : l’un réunissant Lisa Batiashvili et Nézet-Séguin au piano dans Beau Soir de Debussy, l’autre au violon solo avec Doluri du Géorgien Aleksandr Machavariani (1913-1995).
 
La 7Symphonie en ré mineur de Dvorak referme le programme, prise à bras le corps par le maestro québécois. Cette vision très volontaire, très nerveuse, a les défauts de ses qualités. Une interprétation multivitaminée qui, si elle emporte l’enthousiasme du public, souffre de tutti excessivement compacts et laisse de côté la dimension effusive de la musique, dans le Scherzo en particulier. Prière pour l’Ukraine de Silvestrov et 21Danse hongroise de Brahms en bis.

 
Alain Cochard

Paris, Grande Salle de la Philharmonie, 7 septembre 2022
 
Photo ©  Todd Rosenberg

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