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Lille Piano(s) Festival - Au miroir de Liszt - Compte rendu


Le concert inaugural du Lille Piano(s) Festival 2011 aura aussi été le dernier de l’Orchestre National de Lille dans l’Auditorium du Nouveau Siècle tel qu’on l’a connu jusqu’ici. Dès lundi 20 juin ont en effet commencé des travaux qui, à partir de la rentrée 2012, permettront à l’ONL de disposer d’une véritable salle de concerts de 1800 places. Avant ce moment – impatiemment attendu ! – Jean-Claude Casadesus et ses troupes auront passé une 36ème saison d’un genre particulier, « hors les murs », partagée entre trois lieux principaux : Théâtre du Casino Barrière à Lille, Colisée-Théâtre de Roubaix, tandis que la ville de Faches Thumesnil accueille les répétitions et les spectacles « jeune public » – que l’ONL a commencé à pratiquer bien avant qu’on ne s’affole à Paris pour ce genre, après l’avoir copieusement méprisé…

Concert inaugural du Piano(s) Festival avec l’ONL et J.C. Casadesus donc, mais sans eux pour la 5ème Symphonie de Beethoven qui ouvre le concert… dans la transcription de Franz Liszt par Giovanni Bellucci. Familier de ce répertoire, l’Italien livre une interprétation très concentrée, sans un effet de manche, servie par un jeu dont la maîtrise dynamique fascine (fabuleuse crescendo conduisant à l’enchaînement des 3ème et 4ème mouvements). Puis c’est au tour de François-Frédéric Guy et du maestro lillois de s’emparer d’un 2ème Concerto de Liszt dont ils signent une interprétation pleine d’autorité, aux couleurs fauves ; virile, pêchue, jamais clinquante.

Le piano-ogre du virtuose s’appropriant Beethoven, la visionnaire liberté formelle du Concerto en la : en deux œuvres la singularité de Liszt est résumée à l’orée d’une édition 2011 qui a fait de l’auteur des Rhapsodies hongroises le fil conducteur d’une programmation comme toujours panachée entre des interprètes très divers, connus ou à découvrir.

A redécouvrir parfois aussi, comme c’est le cas pour Hüseyin Sermet, maître du clavier que l’on aimerait entendre plus souvent en France. Ce disciple de Maria Curcio fait preuve d’une autorité pianistique stupéfiante (Fantaisie écossaise de Mendelssohn), d’un jeu coloré et subtil à la puissance contenue (étonnants Papillons de Schumann, crépusculaires et brahmsiens) et d’une délicatesse parfois aux limites du silence (Nuages gris et Abschied de Liszt). Pur délice que la sonate de Scarlatti offerte en bis !

Il n’est plus besoin en revanche de présenter le tandem formé par Boris Berezovsky et Brigitte Engerer dont la complicité, dans l’acoustique merveilleuse de la salle du Conservatoire, nous vaut un Concerto pathétique et des Réminiscences de Don Juan de grande tenue. A quatre mains cette fois, les pianistes s’encanaillent dans la 2ème Rhapsodie hongroise (avec Friska doublée d’un copieux fou rire !), tandis que d’un bouquet de Danses hongroises de Brahms se dégage une fraîcheur quasi improvisée.

Plongé dans les Années de Pèlerinage (un enregistrement intégral sortira chez Naïve en novembre) Bertrand Chamayou confirme une fois de plus ses affinités avec l’univers d’un compositeur qui a beaucoup compté à ses débuts (on se souvient de son intégrale en concert des Etudes d’exécution transcendante). Avec le temps, la palette sonore du jeune artiste s’est ouverte, enrichie et la 2ème Année de Pèlerinage qu’il donne à Lille le montre maître des climats très variés d’un cahier qu’il appréhende avec raffinement poétique jusqu’à une Dante tenue de bout en bout portée par une souffle dramatique irrésistible. Un sus Venezia e Napoli vibrant de lumière et sans une once d’esbroufe. D’autant plus admirable que le concert a lieu à 11h du matin… On comprend pourquoi Pierre Boulez a souhaité disposer d’un pianiste de ce calibre pour le Concerto n°2 de Bartok qu’il dirige à l’Orchestre de Paris en décembre prochain…

Quelques semaines après un récital mémorable au TCE, Philippe Bianconi est l’invité du Piano(s) Festival pour un programme Ravel/Liszt. Dans le cadre intimiste de la salle du Conservatoire on savoure peut-être mieux encore la fabuleuse palette sonore du musicien (Jeux d’eau, Jeux d’eau à la Villa d’Este), l’hallucinante maîtrise et l’envoûtante poésie de son Gaspard de la Nuit, la puissance symphonique jamais tapageuse des Funérailles. En bref, un interprète qui a compris que noblesse et simplicité sont les meilleures alliées en art. L’indifférence des organisateurs parisiens envers Bianconi n’est pas une erreur, mais une faute grave.

Auditorium du Nouveau Siècle plein à craquer pour Hélène Grimaud. Le prévisible succès médiatique a été au rendez-vous. Sa Sonate de Berg, dégagée du post-romantisme, presque émaciée, peut séduire. On reste infiniment plus réservé envers une Sonate KV 310 de Mozart qui confond tension dramatique avec nervosité et manque d’ampleur dans la respiration, ou une Sonate de Liszt où un indéniable sens narratif ne saurait compenser un conception trop à l’emporte-pièce.

La comparaison avec la vison que livre le lendemain Herbert Schuch (photo) est instructive... Intelligence du texte et imagination poétique vont de pair chez ce jeune Roumain d’ascendance germano-hongroise (né en 1979) qui a travaillé avec Alfred Brendel entre autres. Quel fabuleux voyage poétique que celui consistant à enchaîner les Nuages gris de Liszt, les Six Petite Pièces op 19 de Schoenberg, la Fantaisie en ut mineur de Mozart - miraculeuse de style - et la Sonate en si de Liszt, décantée et construite d’admirable manière. Un pianiste à suivre de très près !

Intelligence du texte et imagination poétique : la formule vaut aussi, avec une dimension plus intellectuelle, un premier abord plus sévère, pour Tamara Stefanovitch (une disciple de Pierre-Laurent Aimard) que nous découvrons à l’occasion de son passage Lille. On ne peut toutefois que rendre les armes face l’autorité avec laquelle elle explore les « Weinen Klagen » de Liszt, son mordant sans dureté dans les trop rares Burlesques de Bartok, son imagination sonore dans trois études de Ligeti (Fém, Cordes à vide, Der Zauberlehrling). A suivre très attentivement là encore…

On rêverait de posséder le don d’ubiquité dans une manifestation telle que le festival lillois. Nous n’aurons pas eu suffisamment de temps pour rester écouter l’intégralité du récital de Evgeni Bozhanov (2ème Prix Reine Elisabeth, 3ème Prix Chopin/Varsovie en 2010) mais assez pour goûter à la Barcarolle de Chopin qui ouvrait son programme. Palette dynamique et de couleurs d’une subtilité incroyable, poésie mystérieuse. Un récent et beau CD (Fuga Libera) permet de se faire une idée de l’art du jeune artiste d’origine bulgare, mais demeure loin de ce que, avec une présence scénique étonnante, il livre en public. Moment que pure magie que son Opus 60 – œuvre test s’il en est…

En revanche, la jeune Chinoise Jane Xie, victorieuse au Concours Stravinski et au Concours international de Munich, ne fait pas oublier les marteaux de l’instrument (Rhapsodie hongroise n°12 et Rhapsodie espagnole de Liszt), mais sait unifier les différents moments des Variations sérieuses de Mendelssohn et montre un abattage virtuose incontestable dans le redoutable Premier Cahier des Variations Paganini de Brahms accordé généreusement en bis.

Le programme très pensé de l’Arménienne Varduhi Yeritsyan demande une grande concentration. Très à l’aise dans Dédale de Mantovani dont elle dénoue avec facilité le fil d’Ariane, la soliste domine aussi bien la progression de la Mort d’Isolde de Wagner/Liszt que la force rythmique de la Sonate n°3 de Prokofiev. Dans les Improvisations sur des chants paysans hongrois ou les Danses roumaines de Bartók, la veine populaire et la poésie à fleur de peau n’échappent pas à l’intelligence du regard de cette artiste, musicienne née.

Avec Guillaume Coppola, le sens poétique d’un pianiste qu’un CD Liszt remarqué a très légitimement mis en lumière l’an passé se confirme dans un programme tout dédié à cet auteur. A des Consolations épurées, succède une Vallée d’Obermann singulière et prenante où la méditation prend le pas sur tout effet virtuose, puis une Bagatelle sans tonalité interrogative et elliptique. Narratif et porté par un souffle large, le Saint-François de Paule marchant sur les flots achève de conquérir un auditoire que l’interprète gratifie d’une 5ème Danse espagnole de Granados et d’une capiteuse Puerta del vino de Debussy.

Le redoutable florilège d’études que propose Geoffroy Couteau alterne des moments de grande virtuosité (Allegro Barbaro n°5 et Scherzo Diabolico d’Alkan, Etude d’exécution transcendante n°8 de Liszt) et des instants de poésie pure (Etude op 25/7 de Chopin, Etude n°99 d’Hélène de Montgeroult). Le tact, l’élégance, la fluidité, caractérisent un interprète qui privilégie toujours la souplesse et la clarté (Etude n°6 de Saint-Saëns) au sein d’un déluge de notes qui, sous de tels doigts, porte avant tout la marque de la musicalité.

Rendez-vous du 8 au 10 juin 2012 pour un Piano(s) Festival « Musique Française » - année Debussy oblige !

Alain Cochard et Michel le Naour (pour les récital de H. Sermet, J. Xie, V. Yeritsyan et G. Couteau)

Lille, Nouveau Siècle, Conservatoire, Théâtre du Nord/Scène BNP Paribas et Gare Saint-Sauveur, les 17, 18 et 19 juin 2011

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Photo : DR

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