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Lille Piano(s) Festival 2019 – Belle diversité – Compte-rendu

En quinze ans, Lille Piano(s) Festival s’est installé durablement dans le paysage musical par la volonté des organisateurs de s’ouvrir, au-delà du répertoire classique stricto sensu, à des univers où cohabitent sans frontières musiques actuelles, jazz, variété, tango, électro, théâtre musical, orgue, danse... Jean-Claude Casadesus, qui a fondé ce concept centré sur le clavier dans ses diverses configurations et développé cette manifestation à Lille (au Nouveau Siècle, au Conservatoire, à la Gare Saint-Sauveur) mais aussi au Musée départemental Matisse du Cateau-Cambresis ou récemment à l’Abbaye de Vaucelles, signe avec cette édition sa dernière participation à un festival qu’il a marqué de son empreinte.
 
Au Concerto n°1 de Liszt joué avec fluidité et subtilité par le Suisse Louis Schwizgebel (photo)succède le Concerto n°5 « L’Egyptien » de Saint-Saëns, cheval de bataille de Bertrand Chamayou dont l’inventivité et la spontanéité sont servies par les forces de l’Orchestre National de Lille entraînées par un Jean-Claude Casadesus (photo) toujours aussi énergique.
 
Chambriste, le Midi musical s’ouvre par le Quintette pour piano et cordes de Brahms sous les archets d’un Quatuor Tana très engagé mais finalement peu romantique face à la pianiste Momo Kodama qui préfère privilégier l’intensité à la densité architecturale. Le Quatuor à cordes « Bordeline Activity » (avec bande préenregistrée) de Régis Campo (créé à Marseille au printemps dernier) consiste en une lutte millimétrée et virtuose d’une vingtaine de minutes proche de l’écriture de Philip Glass. Dans ce domaine les Tana ont peu de concurrents et manifestent par leur ardeur une tension démonstrative fort appréciée du public.  
 

Kotaro Fukuma © ugo Ponte
 
Kotaro Fukuma a inscrit son récital autour du thème de la transcription. Outre une sûreté technique jamais prise en défaut, le pianiste témoigne d’une intelligence d’approche des œuvres variées qu’il interprète. Jesu, meine Freude de J-S. Bach dans la célèbre adaptation de Myra Hess tient lieu de mise en bouche méditative. Le contraste est saisissant avec Erlkönig de Schubert/Liszt, d’une densité peu commune, et l’Ave Maria du même compositeur d’une liquidité impalpable. La puissance d’exécution de la Mort d’Isolde de Wagner/Liszt s’appuie sur une progression inexorable, puis la paraphrase de Rigoletto de Verdi/Liszt offre un superbe feu d’artifice où la riche palette sonore le dispute à l’impact dramatique. Les trois extraits du Casse-Noisette de Tchaïkovski adaptés par Pletnev laissent une impression d’aisance digitale à l’instar de la Valse de Ravel dans la transcription brillante et colorée réalisée par Fukuma. Bis tout en légèreté avec En avril à Paris de Charles Trenet arrangé par Alexis Weissenberg (1) ; il clôt de manière poétique un superbe moment de musique.

Romain Leleu, Frank Braley, Arie van Beek et l'Orchestre de Picardie © Ugo Ponte

Invité à Lille, l’Orchestre de Picardie voisin, sous la direction d’Arie van Beek, propose d’abord la Fantaisie concertante pour piano, trompette et orchestre à cordes de Jean-Pascal Beintus (créée par l’Orchestre d’Auvergne en juin 2018) : une partition sans prétention se laissant écouter avec plaisir d’autant qu’elle bénéficie de la participation véloce et ludique de Frank Braley et Romain Leleu. Un sentiment analogue prévaut ensuite dans l’exécution du Concerto n°1 de Chostakovitch, plus substantiel de contenu, où les cordes se montrent à leur meilleur grâce à leur sens du rythme et à leur souplesse. Le Concerto n°27 de Mozart paraît moins inspirer Adam Laloum que d’ordinaire malgré l’accompagnement très idiomatique du chef. Dans le Concerto n°24 on retrouve la clarté, la finesse de toucher, le sens du phrasé et la patte ductile de cet artiste aux semelles de vent.
 
Des qualités qui sont aussi l’apanage de l’expérimenté Nelson Freire, sublime passeur de Beethoven (Sonate « Clair de lune » très intérieure), Chostakovitch (trois juvéniles Danses fantastiques op.5), Paderewski (Nocturne op. 16 n°4 d’une belle ligne de chant) et un florilège Chopin qui s’achève par un Quatrième Scherzo capricieux à souhait. Des moments de partage qui s’inscrivent avec bonheur dans l’esprit du festival.
 
Michel Le Naour

(1) Le pianiste japonais vient d’enregistrer l’ensemble des Trenet/Weissenberg au sein d’un récital « French Romance ». Y figure aussi son adaptation de la Valse de Ravel. (Naxos)
 
Lille, Auditorium du Nouveau Siècle et Conservatoire – 14 et 15 juin 2019
 
Photo © Ugo Ponte

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