Journal

Lille - Compte-rendu : Wozzeck gagnant


C’est entendu, si Wozzeck est fou, tous les autres le sont plus que lui. Jean-Francois Sivadier s’est engouffré avec tout l’art qu’on lui connaît dans cette constatation qu’imposent autant le texte de Büchner que la musique de Berg. Musique : on craignait un peu que la réduction pour 21 musiciens de John Rea n’amoindrisse l’impact dramatique du grand orchestre que Berg réunit expressément pour Wozzeck, mais dans l’acoustique fine et porteuse de l’Opéra de Lille, et il en sera de même au Théâtre de Caen où cette production sera également donnée les 6 et 8 février, il n’en fut rien grâce aux dosages subtils et à la rectitude dramatique qu’imposait la baguette experte de Lorraine Vaillancourt et au jeu aiguisé des membres de l’Ensemble Ictus.

Eléments d’importance, car une grande part du drame se déroule selon Berg à l’orchestre justement. Comme pour sa Madama Butterfly vue in loco en 2004, Sivadier a tout misé sur les costumes et les éclairages, limitant le décor à un jeu de palissades habilement disposées en étoile sur un espace tournant au milieu de la scène. Ce dépouillement volontaire, pour nous un idéal du décor de théâtre qui doit tout sauf figer le plateau, met en relief une direction d’acteur si juste dans sa simplicité qu’elle laisse quasiment émaner la vérité des personnages.

Sivadier s’est gardé avec bonheur des tentations expressionnistes qui soulignent si souvent les excès d’une certaine tradition et nous font Wozzeck trop allemand au mauvais sens : lourd, appuyé, vulgaire. La finesse de la composition de la scène du cabaret, la poésie décalée et ironique du dialogue entre le Docteur et le Capitaine, l’exploitation quasi symbolique de la scène du rasage, tout suggère plutôt que démontre, et laisse suffisamment d’espace aux caractères pour accomplir leurs destinées.

Ajoutez une distribution sans faiblesse, que dominent le Wozzeck si justement humain d’Andreas Schreibner (le plus humain que l’on ait entendu depuis Walter Berry à l’Opéra de Paris, cela commence sérieusement à dater…) et le Docteur de Petri Lindross, sans oublier le Capitaine d’Ales Briscein, chantant toujours un rôle que presque tous hurlent, et la Marie d’Ursula Hesse von den Steinen, détachant finement le sprechgesang du chant, et vous saurez que ce Wozzeck doit être autant entendu que vu.

Avec une jolie idée poétique : c’est l’enfant de Marie qui éteint la lumière de la salle, et ce ne sont pas d’autres enfants qui lui annonce la mort de sa mère, mais le Fou, mimant un mini spectacle de marionnettes. Fou de luxe au demeurant : Cyril Auvity lui même !

Jean-Charles Hoffelé

Wozzeck d’Alban Berg, Opéra de Lille le 27 janvier, spectacle repris au Théâtre de Caen les 6 et 8 février.

Les DVD d'Alban Berg

Les autres comptes-rendus de Wozzeck

Partager par emailImprimer

Derniers articles