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Lille - Compte-rendu : Les Noces de Figaro - Du théâtre à la folie

Ces nouvelles Noces de Figaro signées Jean-François Sivadier à l'Opéra de Lille sont la preuve brillantissime que le chef-d'oeuvre de Mozart est bien d'abord du théâtre. En musique certes, et ô combien ! Mais enfin, ce qui l'emporte ici, comme dans la légendaire mise en scène de Giorgio Strehler, c'est une direction d'acteurs virtuose taillée sur mesure pour chaque interprète. Sans perdre de vue pour autant le grand arc politique qui sous-tend cette Folle journée de l'amour en goguette. Au tout début du 3e acte, lorsque le sol se dérobe soudain sous les pieds du Comte, ce dernier piétine rageusement la veste de Figaro comme celui-ci avait rossé l'habit du Comte au début du 1er acte: ce sont ces gestes symétriques, quasi spontanés, qui construisent une dramaturgie.

Il y a évidemment les morceaux de bravoure comme la fameuse scène de reconnaissance qui clôt le 2e acte : on sent que Sivadier qui a mis en scène Le Mariage de Figaro de Beaumarchais en 2000 à Rennes se fait plaisir. Comme il nous fait plaisir, tout va bien, même si le jeu théâtral manque de mettre à mal l'écriture vocale particulièrement vétilleuse. Puisqu'on en est aux regrets : est-il vraiment indispensable de surligner à ce point l'envers du décor qui se monte à la main ? Laissons à Ariane Mnouchkine ce qui lui appartient : le public n'est pas complètement idiot, mais prompt à se laisser émerveiller.

Or, l'usage de toiles peintes par Jean-Baptiste Marot y suffit : elles habillent l'espace scénique à mesure que les chanteurs passent les vêtements de leurs personnages. Ce sont des codes, des signes et des symboles: Hubert Robert et Watteau ajoutent la touche de poésie. Le 4e acte, celui de la nuit et du jardin où tous les désirs s'exacerbent, échappe joliment à tout réalisme. Au fond de scène, apparaissent, avant de se fondre dans l'obscurité, les lustres et les nappes claires des tables du souper tandis qu'à l'avant-scène, pris comme des mouches, les pauvres humains – Figaro essentiellement – viennent crier leur chagrin. On n'oubliera pas cette fête du quiproquo que Sivadier rend limpide alors qu'elle s'embrouille trop souvent sous la surcharge décorative. Bravo l'artiste !

Et la musique ? Ce serait odieux de dire qu'elle ne se fait pas remarquer. Mais par un curieux renversement des rôles, on dirait que ce qu'on entend, qui est fort beau, illustre la mise en scène : un comble ! Elle est comme ça Emmanuelle Haïm : elle a des pinceaux au bout de ses longs bras d'albâtre qu'elle meut comme les ailes d'un grand oiseau marin. Si le spectacle qu'elle donne est beau à voir, quoique monotone, il n'est pas inefficace non plus à en juger par ce qu'elle tire de son Concert d'Astrée. Mozart est bien là, caressant et vif-argent. Mais il se love dans le mouvement de la scène avec un brin de passivité. On ne sent pas cette violence que Mozart a rajoutée avec ses notes pour compenser les coupes dans le texte subversif de Beaumarchais exigées par l'empereur. Et contrairement à ce que certains croient, Les Noces ont fait un four en 1786 à Vienne la noblesse s'étant sentie visée ; c'est à Prague, en 1787, que viendra le triomphe parallèlement à celui de Don Giovanni.

Ne faisons pas la fine bouche : une distribution juvénile et formidablement entraînée au théâtre se rue dans cette Folle journée avec un enthousiasme communicatif qui triomphe de tous les obstacles et assure le succès d'un spectacle qui est celui d'une troupe de théâtre et de chant. Petit coq aux ailes coupées, le Comte du Sud-Africain Jacques Imbrailo est pathétique à souhait, jamais inquiétant, toujours ridicule. Le Figaro de l'Anglais Matthew Rose n'est pas mieux traité par Sivadier : la bourgeoisie qui va prendre la relève des nobles est du genre balourd. Tout le contraire de sa Suzanne fine mouche qui a tout compris et prend au vol tout le plaisir qui passe à portée de sa jolie frimousse : c'est la magnifique Québecoise Hélène Guilmette (photo), la plus belle voix de la soirée.

A faire pâlir l'astre de la Comtesse de l'Américaine Nicole Houston, peut-être gênée par le diapason baroque un peu bas pour elle. Sa compatriote la mezzo Kate Lindsey nous amuse par le Chérubin qu'elle campe avec un zeste de caricature, mais son timbre ne nous tire pas les larmes. Les rôles secondaires sont tenus par de jolies pointures qui leur rendent justice, de la Barberine d'Hanna Rayodi-Hirt à la Marceline d'Anne Mason en passant par le Bartolo de Paolo Battaglia, le Bazile de Cyril Auvity, le Curzio de Carl Ghazarossian et l'Antonio de Christian Tréguier. Et les choeurs lillois ne sont pas en reste. Un spectacle prêt pour le voyage... si on l'invite !

Jacques Doucelin

Mozart - Les Noces de Figaro - Opéra de Lille, le 12 octobre. Prochaines représentations : 14, 17, 23 octobre (20 h) et 19 octobre (16 h). L’ouvrage sera donné en version de concert avec la même distribution, le 21 octobre au Théâtre des Champs-Elysées.

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Photo : Frédéric Iovino
 

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