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« Lili et Nadia Boulanger. Une disparition de Maleine » par Léo Henry et Elodie Durand – Princesse fragile – Compte rendu

C’est déjà le onzième volume que les éditions de la Philharmonie de Paris font paraître dans leur série « Supersoniques », et l’on ne peut s’empêcher de se demander à quel public s’adresse exactement ces ouvrages. Le principe est certes respecté – évoquer « des personnalités qui, par le pouvoir des sons, ont donné forme à une œuvre, un monde, une théorie, une utopie… bousculant les frontières entre les disciplines et transformant la société », en une cinquantaine de pages en très gros caractères, le texte étant associé à l’image, des illustrations étant à chaque fois commandées à un créateur différent. Le format pourrait faire penser à un livre pour enfants, mais pas du tout : le texte, dont la longueur est celle d’une nouvelle, s’adresse clairement à un lecteur adulte, tant par le style que par le sujet. Il s’agit donc d’offrir un point de vue littéraire et artistique, et si le contenu est en grande partie informatif.

Lili Boulanger à l'époque du Prix de Rome © wikipedia.org
Après avoir traité de grands noms du classique, du jazz ou de la variété (et même Alexander Graham Bell, l’inventeur du téléphone), « Supersoniques » prend en marche le train qui entraîne depuis quelques années les compositrices vers la gloire, et se penche sur celle dont le génie commence sérieusement à être reconnu partout : Lili Boulanger (1893-1918), première femme lauréate du Grand Prix de Rome en 1913. La relation qu’elle entretint avec sa sœur aînée Nadia (1887-1979) est au cœur du récit, qui minimise le rôle du père et donne une image très favorable de la mère, dont les origines prétendument russes et aristocratiques semblent en fait très sujettes à caution. Etait-elle vraiment princesse Myshchetsky ? Les chercheurs considèrent que c’est peu probable.
De princesse, il est pourtant question dans cette histoire, qui se focalise sur l’un des épisodes les plus frustrants de l’histoire de la musique. Dans les dernières années de sa courte existence, Lili Boulanger semble avoir consacré toutes ses forces à tirer un opéra de la première pièce de Maeterlinck, La Princesse Maleine. La partition, sous forme de trois carnets reliés en cuir rouge, existait encore en 1968, puisqu’elle fut exposée (sans doute en mars à la Bibliothèque nationale). Mais quand fut révélé, en 2011, le contenu de la malle léguée par Nadia à sa mort, avec interdiction de l’ouvrir pendant trente ans, La Princesse Maleine avait disparu. Et l’on s’interroge rétrospectivement sur la formule employée par Nadia dans une lettre de 1937, où elle disait l’opéra « très avancé – admirable – et pourtant injouable – […] inachevé […] mais pour si peu ». « Mademoiselle » aurait-elle fait le choix de détruire une œuvre qui ne correspondait pas à l’image qu’elle voulait léguer de sa sœur à la postérité ? Et si le princesse la plus fragile était Lili elle-même, fauchée par la maladie de Crohn dix jours avant Debussy ?
Laurent Bury

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« Lili et Nadia Boulanger. Une disparition de Maleine », raconté par Léo Henry et Elodie Durant // « Supersoniques » - Philharmonie - 64 pages, 18 illustrations, 16 x 20 cm, 13 euros, paru le 10 avril

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