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L’Histoire du soldat et L’Amour sorcier à l’Opéra Comique – Où est passé le diable ? - Compte-rendu
L’idée n’est pas mauvaise: accoler en une lancée deux œuvres courtes et fameuses, tout à fait contemporaines - 1918 pour l’Histoire du soldat, 1915 pour l’Amour sorcier -, et réveillant l’air d’un temps blessé et avide de changement, de surcroît reliées par l’amitié qui unissait les deux compositeurs, Stravinski et Falla. Musique terrible, acide, stridente pour la première, qui disait ainsi adieu à la couleur russe, dure et oppressante pour la seconde, avec des flamboyances qui l’ont rendue célèbre. Et pour héros commun, un drôle de diable, celui qui pourrit un monde déjà gangrené, beau parleur et joueur de violon chez Stravinski, caché dans les flammes chez Falla.
Encore meilleure, l’idée de relier les forces en présence à Grenoble, sous la houlette d’un Minkowski toujours curieux et inventif, soit ses Musiciens du Louvre, le Centre dramatique national des Alpes, et le Centre chorégraphique national de Grenoble, outre l’Opéra Comique et l’Opéra de Lyon. Mais on n’a pas trouvé le ton, avec cette cage noire sur fond noir qui encadre le soldat de Stravinski-Ramuz et que l’on retrouve dans L’Amour Sorcier, juste zébrée d’éclats lumineux, et surtout on se fourvoie dans une interprétation qui se veut théâtre de tréteaux, ce qui impliquerait plus de couleur et de vitamines pour être crédible et accrocheuse, alors que tout sur scène est si zen.
Pire, ce pseudo théâtre de tréteaux se met à ressembler à un théâtre d’amateurs, par la faute surtout du chorégraphe pourtant prestigieux et attachant, Jean-Claude Gallotta. Dans les deux pièces, mais surtout dans L’Histoire du Soldat, ses danseurs ne font que gesticuler sans nécessité, sans structure scénique, effectuant une sorte de remplissage vain lorsque la musique n’est plus relayée par la voix. D’où une lassitude vite installée, qui brouille l’impact de cette œuvre en arête de poisson. Et puis, et surtout, on est surpris par le caractère succinct des mouvements répétitifs et peu accomplis du Groupe Emile Dubois, avec des éléments féminins dont le caractère ingrat surprend chez des danseurs, même dans une danse contemporaine dont on sait qu’elle ne s’attache guère à la beauté. Sans parler de l’accent qui brouille le texte dit par l’acteur belge Johan Leyser, là où tout devrait avoir la précision de l’acier.
Moins pénible, L’Amour sorcier, même si le récit est lui aussi emmêlé dans des évolutions en pelote de fil, qui n’éclairent jamais l’action, déjà elliptique, et des agitations chorégraphiques qui n’évoquent que de très loin l’univers si typé de cette « gitanerie ». Toute la force de l’œuvre réside ici dans le personnage de Candela, qui hurle à la mort avec une belle voix rauque que de grandes interprètes historiques comme Teresa Berganza et Ginesa Ortega ont amoureusement façonnée. Et heureusement, l’on n’est pas trop mal servi par l’arrivée d’une presque débutante dans ce style, la chanteuse de variété atypique Olivia Ruiz, qui a échappé à l’image de la Star Academy pour se construire une identité de belle rebelle libre. Jolie présence, charme, et une façon de bouger bien travaillée, qui montre que dans une compagnie contemporaine il n’est souvent pas la peine d’être vraiment danseur pour prétendre à cet emploi. Le bât blesse quand elle chante. Non que la voix soit fausse ou ridicule, mais c’est simplement une voix de variété, peu lancée, sans graves et sans ampleur, malgré ses efforts pour la rendre rauque, et qui, ânonnant ce texte méchant au lieu de le psalmodier, l’affadit de façon presque enfantine. Un bon point cependant, pour sa voix parlée, tout à fait juste et prenante.
Dans la fosse, heureusement, l’honneur est sauf, car Minkowski et les siens font merveille, avec cette lecture intelligente et sensible qui est la marque du chef. Mais pour le reste, où est passé le diable ?
Jacqueline Thuilleux
Paris, Opéra Comique, 6 avril 2014.
Photo © Jean-Louis Fernandez
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