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L’Heptaméron de Benjamin Lazar et Geoffroy Jourdain aux Bouffes du Nord – L’art du récit d’amour – Compte-rendu

A partir de récits de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre, œuvre posthume et inachevée de la sœur de François 1er, de madrigaux italiens de Monteverdi, Gesualdo, Marenzio, du Décaméron de Boccace et de textes contemporains composés pour l’occasion, Benjamin Lazar et Geoffroy Jourdain (1) signent un magnifique spectacle, aussi saisissant qu’inclassable. Chants et récits s'enchaînent, s’entrechoquent, voire se confondent dans une scénographie d’Adeline Caron à la fois simple et sophistiquée.
 
Ces récits « de la chambre obscure » – laquelle rappelle l’atelier du peintre ou devient métaphore d’une mémoire – racontent comment un groupe de femmes et d’hommes se retrouvent, par le hasard d’une intempérie, séquestrés dans une pièce obscure, hors du monde. Ils vont alors apprendre à se connaître en se racontant des histoires, apparemment vécues, cruelles, passionnées, bouleversantes, souvent tragiques, toujours violentes et sensuelles.

© Simon Gosselin

Benjamin Lazar nous installe dans un espace qui s’apparente à un grenier avec trappes, échelles, planches, trous, et végétation qui naît deci delà. Au cœur de cette « bulle », où la temporalité disparaît, seuls les mots dits ou chantés font avancer une action qui consiste en successives séquences oniriques de toute beauté.
La catastrophe naturelle qui a donné lieu à cette séquestration forcée est délicatement rappelée par un dispositif vidéo discret, tandis que les catastrophes humaines sont narrées, chantées, dans tous les styles et registres, langues étrangères comprises.

© Simon Gosselin
 
Les trois comédiens (Fanny Blondeau, Geoffrey Carey, Malo de la Tuilaye) se révèlent excellents, tandis que les Cris de Paris forcent l’admiration, passant avec une aisance virtuose d’un registre à un autre, de la voix chantée à la voix parlée, sur le registre de la tragi-comédie, jouant des instruments parfois aussi. En exaltant les douleurs et les tensions de l’amour, le madrigal offre un formidable espace de liberté et d’expressivité, concentré de poésie et de musique mêlées.
 
Ces récits violents et tourmentés illuminent pourtant d’humanité et d’émotions cette chambre obscure : une trappe s’ouvre et laisse s’échapper un secret que l’on saisit au vol. Secret à partager, qui survit et s’installe pour longtemps dans l’intimité de la chambre obscure de chacun. 
 
Gaëlle Le Dantec

  1. Lire l’interview de Geoffroy Jourdain : www.concertclassic.com/article/une-interview-de-geoffroy-jourdain-directeur-artistique-des-cris-de-paris-le-madrigal-est-le

 
 
Heptaméron (créé à la Maison de la Culture d’Amiens le 14 janvier 2019) les 12, 13, 15, 16, 19, 20, 21, 22 & 23 février 2019 aux www.bouffesdunord.com
Puis en tournée en mars à l’Opéra de Reims, au Théâtre de Caen, au Trident à Cherbourg, au Théâtre d’Angoulême, et au Théâtre de Liège // www.lescrisdeparis.fr/
 
Photo © Simon Gosselin

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