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​Les Villes tentaculaires au Centre Wallonie-Bruxelles – Musique et rage du vers – Compte-rendu

Irremplaçable vitrine de la culture belge francophone à Paris, le Centre Wallonie-Bruxelles déroule une programmation aussi inventive que diversifiée, concoctée par Anne Lenoir (directrice du CWB) et son équipe. De la littérature à la musique et au cinéma, en passant par la peinture et la bande dessinée, les propositions abondent. Les Villes tentaculaires étaient à l’affiche il y a peu pour deux dates : on s’était mis en route pour le CWB avec une curiosité intriguée, on en est sorti littéralement scotché par la puissance d’un spectacle aussi inclassable que saisissant.
 
Elu « Meilleure création artistique et technique » en 2014 par la Critique belge, il n’a pas volé cette distinction ! Rendons à César... C’est le jeune comédien Nicolas Mispelaere qui, au tout début de la décennie, a eu l’idée d’un spectacle poético-musical inspiré d’Emile Verhaeren. Et d’en parler à Jean-Michel Van den Eeyden, metteur en scène et directeur du Théâtre de L’Ancre à Charleroi, qui l’a suivi et lui a permis de donner corps à son projet. Un récitant, un quatuor à cordes (1) - une partition, signée Margaret Hermant et Ludovic Romain, qui parfois lorgne vers les répétitifs américains, parfois vers des horizons bruitistes, une importante partie de musique électronique (de L. Romain), un mapping vidéo (Dirty Monitor) bluffant de virtuosité et de précision : tels sont les ingrédients d’une réalisation qui ne perd jamais de vue sa source : les vers d’Emile Verhaeren.
 

Nicolas Mispelaere © Leslie Artamonow
 
A partir des Villes tentaculaires (1895) du poète belge, Nicolas Mispelaere a imaginé un montage de textes on ne peut plus fidèle à l’esprit du recueil. Splendide comédien, présent sur scène pendant un peu plus de soixante-dix minutes – sans une seconde de temps mort ! -, il parvient à restituer toute l’atmosphère de la grande ville, sa fièvre et sa folie, les battements sourds des usines, la morsure de la modernité, le désir, « l’étal flasque et monstrueux de la luxure », la misère, la maladie et la mort, avec une palette expressive étonnante.
 
Caressante et troublante parfois, sa voix se fait quand il le faut violente, rageuse ; elle n'hésite pas à chauffer les mots à blanc, portée de bout en bout par un univers sonore envoûtant et obsédant - et par une scénographie continûment renouvelée dont les musiciens du quatuor (debouts pour trois d’entre eux et à distance l’un de l’autre) sont partie prenante. Montage de textes et idée magnifique :  « L’âme de la ville », deuxième poème du recueil, est placée vers la fin du spectacle. « Elle a mille ans la ville/ La ville âpre et profonde... » : surgissement bouleversant, sur des images de vitraux, de la mémoire de la veille cité qui « résiste à l’usure du monde »...
Deux dates seulement à Paris, hélas... : puissent d’autres scènes accueillir sans tarder ces prodigieuses Villes tentaculaires !
 
Alain Cochard

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(1) Margaret Hermant et Benoit Leseure (violon), Jean-François Durdu (alto) & Marine Horbaczewski (violoncelle)
 
Paris Centre Wallonie Bruxelles, 11 juin 2016
 
Site du Centre Wallonie-Bruxelles : www.cwb.fr

Photo © Leslie Artanomov

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