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Les Troyens à l’Opéra de Dresde – A la lettre, ou presque – Compte-rendu

Berlioz a séjourné par deux fois, et pour de longs séjours, à Dresde. Pour des séries de concerts de ses œuvres sous sa direction, en 1843 et en 1854, à l’invitation d’autorités locales qui l’accueillirent à bras ouvert et mirent à sa disposition le meilleur de leurs forces musicales. Il fut même sollicité pour devenir maître de chapelle (la célèbre Staastskapelle de Dresde), avec ces paroles de l’intendant du roi de Saxe : « Si vous vouliez, que de belles choses nous ferions ici ! avec nos artistes que vous trouvez si excellents, et qui vous aiment tant, vous feriez de Dresde le centre musical de l’Allemagne ! ». Mais le projet n’aura pas de suite. Quoi qu’il en soit, Berlioz devait garder un souvenir ému et attendri de l’accueil qui lui fut réservé sur place : « J’ai tant envie d’y retourner, je me déplais si fort à Paris… Dresde est si belle… Ce contraste avec l’indifférence parisienne… »
 
Dresde est restée de nos jours une ville « belle », même si elle le doit à la reconstruction de ses principaux édifices emblématiques après les bombardements de 1945. Berlioz était ainsi venu à l’Opéra de Dresde pour diriger ses œuvres, dont La Damnation de Faust (il y eut même un projet de monter Benvenuto Cellini), quand bien même le bâtiment n’est pas exactement celui qu’il avait connu. C’est donc une forme de retour, d’une certaine manière, que cette production des Troyens au Semperoper. C’est aussi un retour pour le chef d’orchestre John Fiore, qui avait déjà dirigé – et avec quel talent ! – Les Troyens en 2005 au Deutsche Oper am Rhein (qui réunit les villes de Düsseldorf et Duisbourg). Mais cette fois les intervenants diffèrent, puisés en grande partie aux ressources musicales de la maison lyrique dresdoise, comme la mise en scène.

© Forster
 
Cette dernière revient à Lydia Steier, habituée des scènes lyriques allemandes bien que venue des États-Unis (tout comme John Fiore). Sa conception serait plutôt sage, qui ne prend pas l’œuvre à contrepied ni ne verse forcément dans la grande originalité. Les personnages sont ainsi campés façon XIXe siècle quelque peu corrigé (du déjà vu en l’espèce, notamment dans la production de David McVicar à Covent Garden en 2012), au sein de décors passe-partout. Avec parfois quelques détails croquignolets : dans les épisodes situés à Troie, les personnages agitent des petits drapeaux bleus ; puis à Carthage, des drapeaux rouges, tout en levant le poing et brandissant des faucilles et marteaux ! Amusant, quand on sait l’historique de la ville de Dresde, et son passé récent comme cité de la RDA ! Il est vrai que la neuve Carthage évoque un « phalanstère », mot de Berlioz… Pour le reste, il y a d’autres intentions caricaturales parfois appuyées, comme ces maquillages façon clown ou ces saltimbanques de cirque (pour les ballets)… On note toutefois de judicieux effets d’éclairages, violents pour les scènes de foule puis concentrés sur les protagonistes. Mais l’ensemble sans réelle consistance ni inconvenance. Une mise en place, davantage qu’une réelle mise en scène.
 
La satisfaction, car satisfaction il y a, vient d’ailleurs, de la transmission musicale. Bien que l’acoustique du vaste Semperoper, assez étouffée, ne la favorise pas toujours. Au chapitre de la partition, notons que celle-ci est respectée (suivant l’édition Bärenreiter), hors deux coupures peu dommageables (les Entrées au troisième acte et deux ballets sur trois à l’acte suivant), et une autre plus incompréhensible (le sublime Septuor du quatrième acte !). Dans la fosse, avec les couleurs de la Staastskapelle, les nuances sont transmises au plus près, entre échelonnement des répartitions instrumentales, forte et pianos, dans des tempos fidèles aux indications métronomiques (le vif Quintette du quatrième acte) sous la battue innervée de John Fiore. Un connaisseur de l’œuvre, qu’il sert et fouille dans ses multiples retranchements !

Christa Mayer ( Didon) © Forster

Et dans une belle symbiose, le plateau vocal se coule dans une même facture appropriée. À cet égard, Christa Mayer figure la triomphatrice de la soirée, Didon resplendissante dans l’éclat ou la douleur. Jennifer Holloway (photo) serait une Cassandre un cran en-deçà, non pas pour la caractérisation, d’un tragique vocalement affirmé, mais pour la projection qui ne parvient pas toujours à franchir la vaste salle. Bryan Register campe pour sa par un Énée de belle allure, vaillant et subtil avec un timbre au registre soutenu. Et le reste de la distribution, de se révéler en adéquation avec leurs rôles (hors un épisodique Panthée), qui plus est dans une parfaite élocution française : le Chorèbe adapté de Christoph Pohl, le Narbal bien planté d’Evan Hughes, le délicat Iopas de Joel Prieto, l’Ascagne clair d’Emily Dorn, l’Anna au sombre alto d’Agnieszka Rehlis, ou la ferme Ombre d’Hector d’Alexandros Stavrakakis. Le chœur quant à lui vibre en phase, bien que les pupitres féminins l’emportent par leur homogénéité. Des Troyens vainqueurs par la musique.
 
Pierre-René Serna

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Berlioz : Les Troyens – Semperoper de Dresde, 6 octobre ; prochaines représentations : 21, 27 octobre, et 3 novembre 2017 / www.semperoper.de/en.html
 
Photo © Forster

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