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Les Mystères d’Isis à la Salle Pleyel - Amusant le temps d’une soirée - Compte-rendu

Clou de la saison du Palazzetto Bru Zane, Les Mystères d’Isis renaissent Salle Pleyel le temps d’un concert. De quoi s’agit-il ?… En l’espèce, d’un pasticcio comme on disait à l’époque, d’un méli-mélo ou d’un pot-pourri qui prend pour prétexte une œuvre et un compositeur célèbres pour l’adapter aux goûts supposés du public, mais surtout aux juteuses finances des arrangeurs (seuls, dès lors, détenteurs des droits d’auteur). Une pratique d’un autre âge, qui aujourd’hui laisse rêveur… Ici les victimes sont La Flûte enchantée et le pauvre Mozart.

Les Mystères d’Isis ont été créés en 1801 à Paris, avec un succès retentissant qui se prolongera jusqu’aux années 1830. (Ce sera même, sous cette forme, l’un des opéras préférés de Napoléon…) Moment où enfin, grâce notamment à la dénonciation acharnée de Berlioz, l’opéra, sinon le singspiel, commencera une carrière en France dans son état peu ou prou original. Les arrangeurs sont un certain Ludwig Wenzel Lachnith, compositeur d’origine tchèque connu surtout de son vivant comme corniste et qui n’a guère laissé d’autre trace remarquable, et Étienne Morel de Chédeville, librettiste attitré de ce genre de travestissements. Il fallait bien, à l’époque à Paris, présenter un opéra en français, où en outre les dialogues parlés étaient exclus. Conséquences : un livret neuf et des récitatifs. Mais dans ce cas, comme dans d’autres à l’évidence, lesdits arrangeurs ont eu la main très lourde et des plus malheureuses.

Car c’est à un galimatias que l’on assiste. De La Flûte enchantée restent divers passages (a disparu le second air de la Reine de la Nuit, devenue Myrrène), transposés, écourtés, transformés, modifiés (avec une orchestration édulcorée, des cadences convenues là où précisément le génie de Mozart éclatait dans son originalité…), mis sens dessus dessous, tombant systématiquement quand on ne les attend pas… S’ajoutent des pages, de Mozart, puisées à Don Giovanni, Les Noces de Figaro ou La Clémence de Titus, elles aussi jetées au petit bonheur et subissant un sort comparable. On ne cesse de se surprendre à reconnaître tel ou tel morceau, toujours dans un moment incongru et malencontreusement dévié. De quoi y perdre son Mozart !… Viennent aussi les récitatifs, d’une lourdeur à faire pleurer les tombes, quelques passages inconnus (de Lachnith ?), assez ternes, et, normalement, un prélude du quatrième acte (puisque quatre actes, il y a) pris cette fois à Haydn et à l’adagio de l’une de ses symphonies. Normalement… car nous n’y avons pas eu droit lors du concert – d’un arrangement donc, lui-même il faut croire arrangé pour la circonstance. Quant au texte, il aligne les poncifs, un langage pauvrichon, des rimes indigentes ou grotesques (âge/dommage, madame/flamme…), les fautes de prosodie à répétition, une histoire abracadabrante où par comparaison le livret même de Schikaneder en devient limpide…

On s’étonne au début, pour ensuite s’amuser franchement la soirée passant. Il n’empêche que l’entreprise valait d’être tentée. Que l’on ne peut que saluer le laborieux et méritoire travail de recherche et de reconstitution de la partition. Que louer les interprètes, pour leur courage et à l’occasion leur prestation. Sébastien Droy livre le style de chant français qu’on lui connaît (pour Isménor, alias Tamino), Jean Teitgen et Tassis Christoyannis donnent leurs rôles sans faillir (Bochoris, alias Papageno, et Zarastro). Les voix féminines sont plus incertaines individuellement (Chantal Santon-Jeffery, prenant place il est vrai de Sandrine Piau déclarée forfait – on la comprend !), mais s’acquittent bien des parties d’ensemble. Le Chœur de la Radio flamande est parfait – et qu’il est doux d’entendre l’excellente élocution française des flamingants ! Le Concert spirituel, après quelques flottements initiaux, vibre de tous ses timbres sous la battue énergique de Diego Fasolis (remplaçant Hervé Niquet, souffrant). Bref, un beau travail !

Reste que ce témoignage, intéressant et instructif d’un point de vue historique, n’est peut-être pas à renouveler. Un enregistrement est prévu, pour laisser à la postérité et contenter l’auditeur en mal de curiosités ou d’aventures qui aurait été privé (?) du concert. Cela suffira bien. Laissons Mozart en paix et à son génie ! Et restons-en là. Il ne faudrait surtout pas que l’expérience se poursuive, avec par exemple Don Juan, ou Don Giovanni revu par Castil-Blaze, pareillement fustigé en son temps par Berlioz.

Pierre-René Serna

Mozart/ Lachnith : Les Mystères d’Isis, Salle Pleyel, 23 novembre 2013

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Photo : Alex de la Forest / Salle Pleyel
 

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