Journal

Les Huguenots à l’Opéra Bastille – Chacun pour soi et Dieu pour tous ! – Compte-rendu

Et surtout que l'on ne vienne pas nous dire que monter Les Huguenots aujourd’hui est impossible, car Olivier Py avec tout son panache, son goût pour la provocation et ses excès est parvenu à redonner à cette partition ses lettres de noblesse en 2011, au Théâtre de La Monnaie puis en 2012 à Strasbourg. Sorti du purgatoire où il semblait être voué à jamais depuis des décennies, Meyerbeer est enfin de retour et il n'est plus temps de s'en plaindre. Après 78 ans d'absence, Paris se devait de remettre ces Huguenots sur le devant de la scène et c'est donc plein d’enthousiasme que nous attendions de découvrir cette nouvelle production. Après la défection de Diana Damrau et de Bryan Hymel, respectivement Marguerite de Valois et Raoul de Nangis, les signes avant-coureurs d'une malédiction planaient sur la Bastille. Si l'annonce du remplacement de la soprano allemande par Lisette Oropesa nous a rassurés, celle de Yosep Kang était plus inquiétante. Car on le sait, Meyerbeer est longtemps resté à l'écart faute d'intérêt, mais également de chanteurs suffisamment rompus aux exigences vocales du compositeur.

© Agathe Poupeney - OnP

Pour Les Huguenots créés à Paris en 1836, pas moins de dix interprètes chevronnés étaient réquisitionnés et si 182 ans plus tard certains sont à la hauteur des enjeux, d'autres n'ont pas le niveau demandé par cette grande fresque historique. Avec son chant délicieusement agile, sa diction délicate et sa grâce naturelle, Lisette Oropesa est une impeccable Marguerite de Valois, fiancée du protestant Henri de Navarre. La voix n'est pas large comme l’était celle de Joan Sutherland, impressionnante Marguerite, mais la musicienne est fine et le personnage partagé entre l’insouciance et le désir de réconciliation, qui n’empêchera pourtant pas la Saint-Barthélémy, est artistement tracé. Quelle satisfaction de pouvoir retrouver à ses côtés un luxueux Urbain, confié comme à Strasbourg en 2012 à Karine Deshayes au sommet de son art, étalant un registre aigu d'une vigueur insolente et une espièglerie qui sied au Page surtout dans son air d’entrée resté célèbre, et ô combien aimé par Marilyn Horne, « Nobles Seigneurs ! Salut ». Le Comte de Nevers n'est sans doute pas le rôle qui met le mieux en valeur l'instrument de Florian Sempey, mais son aspect fourbe et cauteleux lui va bien, tout comme la rigueur et le fanatisme dont fait preuve le Comte de Saint-Bris dont Paul Gay, malgré une voix un peu grise, tire habilement profit. Nicolas Testé possède les graves de Marcel mais on enrage de devoir subir une présence scénique aussi empesée et un jeu si conventionnel. Sur ce plan, Ermonela Jaho (Valentine) n'est guère plus satisfaisante, mais son chant, malgré une tessiture trop étendue pour ses moyens – que Mireille Delunsch avait pourtant transcendée à Strasbourg en 2011 et en 2012 - sait s'animer à mesure que son destin s'emballe et qu'elle décide, malgré l'interdiction de son père, le catholique Saint-Bris, de trahir en passant dans le camp adverse des Huguenots, par amour pour Raoul qui, comme elle, trouvera la mort.

Il n'est pas certain que Bryan Hymel aurait été à la hauteur de nos attentes dans un rôle qui mêle onction belcantiste (« Plus blanche que la blanche hermine ») et résistance berliozienne ; comment ne pas penser au futur Enée lorsque Raoul harangue en effet ses compagnons pour les entraîner au combat, « Marchons à la défense des martyrs », au 5ème acte ? Son remplaçant, le coréen Yosep Kang, n'a pas de difficulté à chanter le français de manière intelligible, mais sa technique lacunaire le cloue au pilori dès qu'un aigu est à négocier, celui-ci passant à un cheveu de l'étranglement sur les fameux « Tu l'as dit : oui tu m'aimes ! » lors du duo avec Valentine au 4ème acte. Là où Gregory Kunde, comme avant lui Nicolai Gedda (à Vienne en 1971 notamment), se montrait vertigineux et faisait évoluer son personnage face à l’avancée du drame, Yosep Kang semble gauche et limité, impression certainement renforcée par la pression de la première.

© Agathe Poupeney - OnP

Aidé comme l'ensemble de la distribution servie également par Cyrille Dubois, Julie Robard-Gendre, François Rougier, Patrick Bolleire et d'excellents choristes, par le chef Michele Mariotti, mais sans traitement de faveur, le ténor manque d'assurance mais plus encore, d'endurance : tiendra-t-il jusqu'au bout ? L’avenir le dira.

La direction du jeune chef italien n'a rien de déshonorante, mais si l'on veut sortir Meyerbeer de l'ornière, ce n'est pas avec cette lecture aseptisée, dénuée d'emphase et privée de nerf que le public va pouvoir croire au prétendu génie du compositeur. A trop arrondir les angles en lissant le discours pour le rendre accessible (sans parler des nombreuses coupures qu’avaient tenté d’éviter Marc Minkowski à Bruxelles et Daniele Callegari à Strasbourg, réhabilitant le ballet passé ici à la trappe !), Mariotti ne rend pas justice à l'auteur qui mérite mieux que ce traitement apparemment respectueux, mais sans audace.

En privilégiant l'esthétique avec ces décors blancs, pseudo contemporains (étages en galerie reliés par des escaliers pour le Château du Comte de Nevers, boîte blanche avec roseaux stylisés et pièce d'eau pour Chenonceau transformée plus tard en Pré aux Clercs puis en appartements de Valentine), Andreas Kriegenburg et son équipe ne traitent qu'en surface le sujet, ajoutant confusion et naïveté au cours de scènes de combat et de foule qui frisent l'improvisation, à un drame, avouons-le, mal ficelé. Là où Py avait su mettre l'accent sur les affrontements meurtriers entre catholiques et protestants, exacerber les conflits et les luttes intestines, tout en érotisant les relations entre des personnages antagoniques, Kriegenburg se contente d'un théâtre convenu qui ne dépasse jamais les conventions et d'où sont absentes la rage et la passion. Dommage pour ce « grand opéra » tant attendu sur la première scène parisienne.

François Lesueur

logo signature article

Meyerbeer : Les Huguenots - Opéra Bastille, le 28 septembre 2018 ; prochaines représentations les 1, 4, 7, 10, 13,16, 20 et 24 octobre 2018 //

PLUS D’INFOS SUR OPERA NATIONAL DE PARIS

© Agathe Poupeney - OnP

 

 

Partager par emailImprimer

Derniers articles