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Les Etés de la Danse 2018 à la Seine musicale - Un monde que l’on voudrait nouveau – Compte-rendu

© Angela Sterling

Lorsqu’on regarde la liste des compagnies invitées par les Etés de la Danse depuis leur première édition de 2005, aux Archives Nationales, on est impressionné par la richesse de cette programmation, essentiellement américaine, laquelle même s’il y eut quelques invités venus d’ailleurs, Novossibirsk et Vienne notamment, restera comme le véritable éventail d’une production qui continue de rayonner dans le monde grâce à des noms phares dont le prestige ne s’est pas éteint: Robbins, Balanchine, Ailey. Le Festival a ensuite émigré au Grand Palais, puis longtemps au Châtelet, avant d’investir l’an passé la toute nouvelle Seine musicale où il est incontestablement à l’aise.
L’Amérique, donc, encore et toujours, et plus encore cette année où le génial Robbins (1918-1998) était célébré en son centenaire. L’homme dur, insupportable, perfectionniste aux limites du tolérable, mais fascinant pour tous, a laissé de nombreux chefs d’œuvres que le public a pu revoir avec délectation cette session. Et son œuvre n’a pas pris une ride, par sa sensibilité d’écorché vif et la retenue de son expressivité intense.
 

© Angela Sterling

Pacific Northwest Ballet (sol. Ezra Thomson) © Angela Sterling
 
Mais d’autres sont aussi cet été à l’honneur, et le New York City Ballet, n’est pas le seul dans l’arène. Pour la deuxième partie de la session ainsi a-t-on pu découvrir le Pacific Northwest Ballet, créé à Seattle en 1972, et dont le répertoire offre une véritable rétrospective des grands noms de la danse américaine contemporaine, ou de ceux qui l’on influencée. Si Jessica Lang, Benjamin Millepied, Twyla Tharp et l’incontournable Forsythe composent leur deuxième programme, le premier met bout à bout des jeunes créateurs, des défunts comme Ulysses Dove, qui aurait 70 ans aujourd’hui, et la magnifique Crystal Pite, qui fait figure de vedette et voit son prestige croître partout, comme on a pu en juger récemment à l’Opéra de Paris.
En premier lieu, honneur aux interprètes, que l’on découvre : car le Pacific Northwest Ballet est une compagnie vivifiante, aux physiques ravageurs, jouant sur des détentes musculaires spectaculaires, et engagée plus animalement que stylistiquement. Ce qui va à merveille aux chorégraphies d’Ulysses Dove et de Crystal Pite.
 
Du premier, qui eut son heure de gloire à Paris où il travailla un temps à l’Opéra, et où le public applaudit l’un de ses chefs d’œuvre, Faits et gestes, en 1988 au Palais des Sports, on ne retrouve cependant pas tout à fait dans la pièce choisie, Red Angels, la violence sophistiquée qui bouleversait dans quelques unes de ses oeuvres emblématiques, que Patrick Dupond contribua à faire connaître lorsqu’il dirigea le Ballet de Nancy. Sur du violon électrique qui sonne comme une guimbarde égrenant des rengaines folk, des silhouettes écarlates rappellent le mixte du style qui fut celui de Dove, un créateur qui poussait ses interprètes jusqu’à l’extrême limite de leurs possibilités, et en qui se retrouvaient, digérés par une personnalité puissante et torturée, la recherche pointilliste de Cunningham, les postures grahamiennes, la largeur d’Alvin Ailey. Les danseurs se croisent, s’affrontent, se regardent, duos qui sonnent comme autant de moments d’une sensibilité à la fois belliqueuse et sensuelle. Et, fait intéressant, Dove, comme Forsythe, ne se priva pas du chausson, devenu ici l’instrument d’une autres gestique, non plus source d’élévation mais d’agressivité existentielle.
 
Ainsi procède également Crystal Pite, dont la pièce, Emergence, créée en 2009, portait exactement sa marque de magicienne de l’espace et des ensembles qu’elle y déroule, entrelaçant les silhouettes, les faisant glisser les unes sur les autres, les enchaînant comme des vagues déferlantes, sans pourtant perdre un gramme de son humanité. Sa pièce, bénéficiant de magnifiques lumières signées Alan Brodie, qui dessinent un monde sombre et souterrain où les danseurs vont et viennent comme dans une fourmilière, angoisse, fascine par la rigueur de son schéma mobile, sur une musique répétitive d’Owen Belton. Bluffant et déjà prototypique de cette créatrice qui possède un style immédiatement reconnaissable.

Ce qui n’est pas le cas malheureusement, de Christopher Wheeldon , dont la pièce Tide Harmonic montre quelques couples répétant inlassablement d’agréables figures de style, sans aucune fin ni différenciation. Du verbiage gestuel, de ce que l’on appelait autrefois du divertissement, pour le ballet classique. Quant à l’espagnol Alejandro Cerrudo, très apprécié par le Pacific Northwest, son Little moral Jump manifeste incontestablement une vivacité assez réjouissante et parvient à piquer l’intérêt, mais de façon bien superficielle. A l’issue de cette rétrospective fournie, on se dit que malgré de belles techniques et des ressources physiques intéressantes, l’heure n’est pas encore aux grandes découvertes, en ce qui concerne les chorégraphes qui animent la scène américaine. A l’exception d’une Crystal Pite, on l’a dit. Encore faudra t’il qu’elle se renouvelle et que son style ne devienne pas qu’un système.
 
Jacqueline Thuilleux

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Boulogne-Billandourt, La Seine Musicale, le 3 juillet 2018. www.lesetesdeladanse.com  

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