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​Alain Altinoglu dirige l’Orchestre de Paris – Ravel, de l’inédit au chef-d’œuvre – Compte-rendu

 

 
Les apparitions d’Alain Altinoglu à la tête des phalanges parisiennes sont bien trop rares et c’est avec bonheur qu’on l’a retrouvé à l’Orchestre de Paris. Bonheur d’autant plus vif que le programme présentait un inédit d’un certain Maurice Ravel : Sémiramis. Sous ce titre se cache un début de cantate (deux parties : Prélude et Danse / Scène 1 – Air de Manassès ; une douzaine de minutes en tout) écrit en vue du concours du Prix de Rome 1900 (1), qui vit le jeune compositeur de 25 ans écarté dès les phases éliminatoires. La partition fut retrouvée à l’occasion d’une vente aux enchères en juin 2000 et, inédite en France (2) jusqu’au concert de l’Orchestre Paris, a déjà été dévoilée en deux temps à l’étranger : Prélude et Danse par Gustavo Dudamel à New York le 13 mars 2025 et l’Air de Manessès par le ténor Pierre Derhet et Alain Altinoglu à Bruxelles le 20 novembre dernier.

 

Alain Altinoglu & Léo Vermots-Desroches © Denis Allard

 
Aisance, souplesse, prononciation impeccable
 
Sans bouleverser notre connaissance de Ravel, Semiramis offre une séduisante découverte et fait entendre une musique entremêlant beaucoup d’influences (la musique russe, Schmitt, Massenet ...) où l’amour de la couleur et la science de l’orchestre s’affirment déjà clairement. Alain Altinoglu et les musiciens parisiens soulignent cet aspect dès le Prélude et Danse, avant d’offrir le plus bel accompagnement à Léo Vermot-Desroches, qui s’empare avec aisance, souplesse et une prononciation impeccable de l’Air de Manessès, pièce d’entrée de jeu très exigeante pour la voix et qui ne pose aucune difficulté au jeune ténor.

 

© Denis Allard

 
Un orchestre en état de grâce
 
1900-1912 : un peu plus d’une décennie seulement – ponctuée de pages extraordinaires en tous domaines – sépare le "galop d’essai" Sémiramis de Daphnis et Chloé (créé en juin 1912). Placé en seconde partie de soirée, le ballet, donné dans son intégralité – chose extrêmement rare, qui fait aussi le prix du concert dirigé par Altinoglu –, montre un orchestre en état de grâce (quelle fabuleuse harmonie ... ; ne fût-ce que pour les flûtes dans la Pantomime le concert valait le déplacement) sous une baguette prodigieusement maître de son sujet. D’un incroyable raffinement dans les timbres et idéalement fluide dans les enchaînements, l’approche captive par sa force évocatrice et narrative – avec la judicieuse idée de plonger la salle dans l’obscurité pour le Nocturne. Chaque détail de la partition vit et fait sens, d’autant qu’Altinoglu peut compter sur un Chœur de l’Orchestre de Paris irréprochable (préparé par Richard Wilberforce).

 

Julia Hagen © Denis Allard

Grande soirée de musique française donc, qui aura aussi offert de retrouver Julia Hagen en soliste du Concerto pour violoncelle n°1 de Saint-Saëns : une interprétation de grande tenue où la virtuosité fuyait l’extériorité, autant que l’expressivité le sentimentalisme sucré dont les envolées lyriques de l’Opus 33 souffrent parfois. La subtilité et l’intelligence de la battue d’Altinoglu ont quant à elles beaucoup contribué à la réussite de la jeune artiste autrichienne.
Un vœu pour conclure : que l’Orchestre de Paris refasse appel vite – et plus souvent ! – à l’un de nos plus grands chefs.
 
Alain Cochard
 

Paris, Philharmonie, 17 décembre 2025
 
 
(1) Le 1er Grand Prix 1900 revint à Florent Schmitt, le second à Aymé Kunc
 
(2) Le terme inédit, n’est pas absolument exact car l’on sait que, avant de tomber dans l’oubli, la partition fut donnée au Conservatoire de Paris, en petit comité (Fauré était présent), le 7 avril 1902, par un orchestre placé sous le direction de Paul Taffanel.
 
Photo © Denis Allard

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