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Les Contes d’Hoffmann selon Christoph Marthaler au Teatro Real de Madrid - Un complet renouvellement - Compte-rendu

contes d'hoffmann madrid 2014

Christoph Marthaler est de ces metteurs en scène qui ne sauraient se satisfaire des conventions. Chacune de ses productions constitue ainsi une approche profondément pensée et originale, mais respectueuse de l’œuvre – quoi qu’on en ait pu dire. On attendait donc avec une certaine curiosité, sinon impatience, sa lecture des Contes d’Hoffmann, pièce rabâchée s’il en est. L’attente n’est pas déçue, et l’intervention du régisseur demeure à la hauteur de sa réputation.
 
Il s’agit en l’espèce d’un projet de Gerard Mortier, pour son théâtre, le Théâtre Royal de Madrid, avant de disparaître prématurément (1). Mais ce serait un projet à plusieurs voix, puisque s’ajoute l’intervention complice de Sylvain Cambreling. Il en résulte une nouvelle mouture de l’opéra d’Offenbach, qui se fonde sur la version de Fritz Oeser avec quelques variantes. Une version longue en quelque sorte, et exigeante, pour cet opéra à tiroirs, avec une soirée commencée à 19 heures et achevée vers 23 heures quinze.
 
Autant dire qu’il convenait de tenir la durée, sans que l’ennui s’installe insidieusement. Contrat rempli ! Le décor reste pourtant identique d’un acte à l’autre (cinq, selon cette version, entrecoupés de deux rapides entractes) : une vaste salle de style art déco, à la fois brasserie et académie d’arts plastiques, réplique du madrilène Circulo de las Bellas Artes (Cercle des Beaux-Arts). Mais tout s’y anime d’une vie incessante, qui souvent prend au dépourvu pour viser juste. Marthaler est un maître de l’animation et du jeu d’acteurs, là où on ne l’espère pas forcément, et précisément quand il faut.
Les serveurs du café virevoltent ainsi dans des contorsions acrobatiques, les masses chorales se distribuent intelligemment comme autant de solistes, et les solistes nommément stipulés vont et viennent dans des comportements criant de vérité (y compris, et surtout, au moment des statiques airs qui ont fait la gloire de l’opéra). Des Contes comme neufs, qui regagnent un intérêt que l’on croyait bien émoussé. Seul achoppement, le confinement du chœur et des autres chanteurs en fond de plateau au premier acte, préjudiciable à leur présence sonore (en dépit de l’acoustique éminemment favorable du Teatro Real). Il faut savoir parfois tempérer son imagination, en regard des impératifs musicaux…
 
Ces derniers sont nonobstant respectés au plus près. Till Drömann, qui reprend la baguette de Cambreling, distille la puissance et l’acuité face à la magnifique phalange orchestrale du Real. Jean-Noël Briend (qui, lui, succède à Eric Cutler) prend à bras le corps son personnage, Hoffmann éperdu, aux notes bien lancées (parfois joliment en voix de tête) et au phrasé soutenu. Olympia est campée par une Ana Durlovski à la projection large et aux aigus rayonnants. Measha Brueggergosman use davantage de son legato, passant d’Antonia à Giuletta avec volubilité et bagout. Vito Priante délivre le Lindorf/Coppélius ténébreux qu’il se doit. Lani Poulson est la voix même, délicieusement lyrique, de la mère d’Antonia, alors que Jean-Philippe Lafont pousse avec conviction les quelques notes de Crespel. Hannah Esther Minutillo (qui avait la lourde charge de succéder à Anne Sofie von Otter) présente de prime abord une Muse/Nicklausse par trop évanescente, mais mieux épanchée au fil de la soirée. Chœur sans faille, à l’égal de sa participation scénique. Alexandre Dumas disait vrai : « Madrid est la ville des miracles » (2).
 
Pierre-René Serna

 
Offenbach : Les Contes d’Hoffmann - Madrid Teatro Real, 18 juin 2014.
 
(1) voir notre article In memoriam : http://www.concertclassic.com/article/memoriam-gerard-mortier-lelegance-et-le-gout-du-risque
(2) voir notre compte-rendu de la Trilogía de los fundadores au Teatro de la Zarzuela  : http://www.concertclassic.com/article/trilogia-de-los-fundadores-au-theatre-de-la-zarzuela-de-madrid-trois-zarzuelas
 
Photo : Javier del Real

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