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Les Contes d’Hoffmann à l’Opéra-Comique - Contes et mécomptes – Compte rendu

Inutile de revenir sur la fadeur de la nouvelle présentation scénique des Contes d’Hoffmann à l’Opéra-Comique – où ils furent créés en 1881 – avec heureusement un Orchestre Philharmonique de Strasbourg tout à fait opérationnel, et l’excellent chœur Aedes (dir. Mathieu Romano), la chose ayant été suffisamment détaillée ici même lors de sa première tenue à Strasbourg en janvier dernier.(1) D’un mot on rappelle que Lotte de Beer, très choyée à ce jour et directrice de la Volksoper Wien, a jugé bon de caser cette fantasmagorie dans un décor miteux, dû à Christof Hetzer, avec une taverne aux airs de buffet de la gare en 40, si pitoyablement terne qu’heureusement on l’oublie rapidement. Pas de canaux vénitiens, donc, pour bercer langoureusement pendant la Barcarolle. Ici, le rêve est gris et Antonia sapée comme une orpheline de maison d’accueil.

Michael Spyres (Hoffmann), Jean-Sébastien Bou (Lindorf / Coppélius / Miracle / Dapertutto) © Stefan Brion
Manque de lisibilité
Bref, l’essentiel demeure la somptueuse musique d’Offenbach dont les flots orchestraux et les grands airs au lyrisme palpitant, doivent nous emporter dans leur coulée. Et là, le travail accompli par Pierre Dumoussaud et son équipe, pour trouver l’authenticité d’une œuvre dont l’existence est plus qu’embrouillée, par son écriture inachevée, les sautes d’humeur des directeurs, les choix des versions, celui d’une interprète pour les quatre rôles ou de plusieurs, l’ordre des actes, les incendies qui ont détruit telle ou telle indication, apparaît comme écrasant, dans tous les sens du terme. Et peut justement susciter l’intérêt, s’il n’était garni de textes supplémentaires, signés de Peter Te Nuyl, dramaturge néerlandais : parfaitement inutiles, ils empèsent le déroulement de notations qui se veulent profondes ou burlesques, brisent le rythme, et ne sont que vaines.
À chacun ses Contes d’Hoffmann, avec partout de petites variations sur les différents plateaux où on le trouve constamment, mais là, on est perdu, par les rajouts, les coupures, et surtout par cette option d’imposer la muse en partenaire appuyée d’Hoffmann tout au long de ses aventures, tandis que lui, bavardant avec elle, contemple son histoire … Le troisième acte, notamment, qui n’est pas le meilleur, devient ici totalement incompréhensible, et pire, d’un pompiérisme qui gâche le message de l’œuvre.

Amina Edris (Stella / Olympia / Antonia / Giulietta), Michael Spyres (Hoffmann), Héloïse Mas (La Muse / Nicklausse) © Stefan Brion
Montée en puissance
Musicalement, heureusement, la distribution, différente de celle de l’Opéra du Rhin, fait face, courageusement et sans trop faillir. Au début, on a eu peur : Pierre Dumoussaud, à l’exceptionnelle finesse analytique habituellement, lançait ses troupes dans un combat débridé. En Hoffmann, le grand Michael Spyres (photo), dont la réputation n’est plus à faire, flanchait dans la Légende de Kleinsack, d’une voix engorgée, presque râpeuse, tandis que le chef n’arrivait pas à faire sentir le tournant majeur de l’air, si poétique, si grisant. Tandis que la muse, Héloïse Mas, empaquetée dans un imperméable argenté, avait des aigus criards. Débuts musicaux difficiles, outre qu’il fallait en plus digérer le papier peint. Heureusement, tout s’est peu à peu arrangé avec Olympia, et sa grosse poupée rose, envahissante mais assez drôle. Amina Edris (photo) s’y est montrée suffisante, dans des vocalises supersoniques, comme toujours, tandis que Spyres retrouvait ses moyens, et que Jean-Sébastien Bou, en Coppelius, tenait solidement la scène. Chargé des quatre rôles diaboliques des Contes, dont il n’a cependant pas la noirceur, il a offert d’ailleurs, avec son articulation impeccable, ses nuances et son expressivité qui sait se faire violente, le meilleur du plateau vocal de la soirée.
Et tout a monté en puissance avec l’acte d’Antonia où Amina Edris, avec un jeu un peu éteint, mais une voix lumineuse, s’est mariée à l’ardeur de Spyres de façon prenante, montant vers un aigu qui a malheureusement paru en sursis. Mais rater complètement cet acte, chef d’œuvre absolu, est heureusement impossible, et l’émotion venait, s’épanouissait, tandis que Dumoussaud, comme libéré, menait l’orchestre d’une baguette plus sensible. Avec un moment merveilleux, celui où Sylvie Brunet-Grupposo, arrivée en catastrophe pour remplacer Marie-Ange Todorovitch, lançait dans la brève apparition de la mère d’Antonia les accents mordorés de sa voix puissante.

Michael Spyres (Hoffmann), Amina Edris (Stella / Olympia / Antonia / Giulietta), Jean- Sébastien Bou (Lindorf / Coppélius / Miracle / Dapertutto), Raphaël Brémard (Andrès / Cochenille / Frantz / Pitichinaccio), Ensemble Aedes © Stefan Brion
Du vieillot aux allures modernistes
Puis, on s’est perdu, ennuyé même alors que l’acte vénitien, déjà toujours confus, accumulait ses nouvelles invraisemblances, avec une malheureuse Edris, qui, harnachée en Giulietta comme un cheval de cirque, ne parvenait pas à froufrouter comme l’enjôleuse vénéneuse qu’elle doit être. Spyres, lui, lançait ses derniers airs à la limite du cri, avec une force un peu désordonnée, et tout s’embrouillait. Tandis que la muse, inlassablement, Héloïse Mas ayant heureusement affermi sa voix, devait jouer le jeu imposé par Lotte de Beer, c'est-à-dire tout en maniérisme et sophistication, vieillot et à la limite de la niaiserie, et que le rideau ne cessait de tomber pour casser l’évolution du drame. Ce qui obligeait sans doute le chef à forcer ses effets puisqu’il ne pouvait les enchaîner souplement. Hoffmann le poète halluciné, drogué, Offenbach l’histrion génial et déchiré, aux élans flamboyants, leur errance désespérée dans un réel insaisissable, les voilà dégrisés par cette lecture qui se voudrait à la fois moderniste et retour aux sources : ce qui pouvait leur arriver de pire, surtout quand la muse conclut sur une petite leçon de morale féministe à l’égard d’Hoffmann. Boires et déboires.
Jacqueline Thuilleux

(1) www.concertclassic.com/article/les-contes-dhoffmann-selon-lotte-de-beer-lopera-national-du-rhin-selection-du-lecteur
Offenbach : Les Contes d’Hoffmann – Paris, Opéra-Comique, 27 septembre 2025 : prochaines représentations les 29 septembre, 1er, 3 & 5 octobre 2025 // https://www.opera-comique.com/fr/spectacles/les-contes-d-hoffmann
Photo : Michael Spyres (Hoffmann), Amina Edris (Stella / Olympia / Antonia / Giulietta) © Stefan Brion
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