Journal

Les Barbares de Saint-Saëns à L’Opéra-Théâtre Saint-Etienne – Il n’y a pas que Samson et Dalila ! – Compte-rendu

Les Chorégies d’Orange n’existaient pas encore, mais c’est avec le projet d’une représentation au Théâtre antique que, début 1900, la direction des Beaux-Arts passa commande à Camille Saint-Saëns d’un opéra sur un livret de Victorien Sardou et Pierre-Barthélémy Gheusi : Les Barbares. Le peu d’enthousiasme du compositeur pour l’ «arène lugubre» (Saint-Saëns dixit) et le coût de l’entreprise conduisirent à abandonner l’idée d’une création devant le mur d’Auguste. Finalement, la première se tint avec grand succès au Palais Garnier, le 23 octobre 1901, sous la baguette de Paul Taffanel et dans une mise en scène de Pedro Gailhard et Victorien Sardou. Depuis lors Les Barbares n’avaient jamais été repris.
 
Célèbre et méconnu : la formule est certes archi usée mais s'applique parfaitement à Camille Saint-Saëns, en France en tout cas. Quelques opus fameux résonnent souvent, mais l’idée que l’on se fait de ce formidable créateur demeure bien incomplète. Sachons gré à Laurent Campellone (photo) et à l’Opéra Théâtre de Saint-Etienne d’avoir mis en lumière un visage totalement méconnu du maître en se lançant dans la recréation des Barbares. Une initiative d’autant plus louable que, menée en partenariat avec le Palazzetto Bru Zane, elle se soldera par la publication d’un enregistrement dans quelques mois.
 
Etonnante composition, à commencer par son vaste Prologue. Cette bonne vingtaine de minutes de musique surprend certes par l’intervention d’une basse (qui conte au spectateur l’histoire qui va se jouer devant lui), mais surtout par la richesse d’un matériau foisonnant : Saint-Saëns expose, avec un écriture gorgée de couleurs, les principaux motifs que l’on retrouvera par la suite. Affirmation liminaire du rôle central joué par l’orchestre tout au long d’une partition puissamment évocatrice où le sens du théâtre ne cède jamais à l’emphase, pas plus que l’opulence de l’orchestration ne se confond avec une quelconque épaisseur. Saint-Saëns connaît Wagner, la musique symphonique de Richard Strauss ou les premiers opéras de Puccini au moment où il compose Les Barbares, mais demeure résolument indépendant et inscrit dans une lignée française - à l’évidence, l’exemple des Troyens a été médité, tout comme celui de Gluck .
 
«La leçons de Gluck a porté, car dans son opéra, Saint-Saëns privilégie la vie intérieure des personnages sur la réalité extérieure », note d’ailleurs Jean Gallois dans ce qui demeure, et de très loin, le meilleur ouvrage en langue française jamais consacré au musicien(1). Une remarque dont l’interprétation des Barbares offerte à Saint-Etienne a souligné toute la pertinence.

 
Distribution idoine. En Floria, Catherine Hunold (photo ci-dessus) met la richesse et l’homogénéité de sa voix, son aisance dans l’aigu, au service d’une conception pleine de sensibilité et d’ardeur du rôle de la Vestale qui s’éprend de Marcomir, le chef des barbares. On ne peut que louer la passion avec laquelle la soprano sert des chefs-d’œuvre oubliés de la musique française : Anahita dans Le Mage de Massenet l’an passé à Saint-Etienne, elle chantera le rôle éponyme dans Bérénice de Magnard, sous la baguette Jean-Yves Ossonce, à Tours début avril.

Avec un ténor de la trempe du Lituanien Edgaras Montvidas (photo ci-dessus), Marcomir engagé mais toujours très musicien, toutes les conditions sont réunies pour que le splendide duo de l’Acte II fasse mouche – comment a-t-on pu oublier une musique d’une telle beauté pendant si longtemps ? ! Récitant du prologue et incarnation du consul Scaurus, Jean Teitgen possède la stature et la noblesse requises pour ces deux emplois. Philippe Rouillon (Hildibrath) assume l’autorité sévère et brutale qu’exige le personnage du Grand Sacrificateur. Quant à la mezzo Julia Gertseva, elle apporte à Livie la richesse de son matériau vocal ; on ne résiste pas à la douloureuse raucité de la superbe lamentation sur la mort de son époux au début du II. Et là encore, comme chez tous les autres protagonistes, la qualité de la diction s’avère exemplaire ! Seul bémol à ce tableau, Shawn Mathey : souffrant le soir de la première, il est hélas à la peine avec les aigus du Veilleur.
Impeccablement préparé par Laurent Touche, le Chœur lyrique Saint-Etienne Loire se montre continûment à la hauteur d’une partition qui le sollicite beaucoup.
 
Mais la réussite des Barbares stéphanois est aussi – et comment ! – celle de Laurent Campellone qui entretient le souffle de la partition et porte les sentiments des personnages avec une poésie, une ardeur et un sens des timbres pour le moins admirables. Il nous ferait même oublier le caractère plus convenu de la musique de ballet du III. Réussite partagée avec les instrumentistes de l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire, formation dont l’implication et qualité du travail forcent une fois de plus le respect.
De la très belle ouvrage et une contribution majeure à la redécouverte du patrimoine musical français.
 
Alain Cochard
 
 
(1) « Camille Saint-Saëns », Jean Gallois, Ed. Mardaga, 2004, 382 p.
 
Saint-Saëns : Les Barbares – Saint-Etienne, Opéra Théâtre, 14 février 2014. (Enregistrement à paraître dans la collection Opéra français » du Palazzetto Bru Zane).
 
Photo Laurent Campellone © Charly Jurine
Photo Catherine Hunold © Charly Jurine
Photo Edgaras Montvidas © Charly Jurine

Partager par emailImprimer

Derniers articles