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Les Archives du Siècle Romantique (72) – La Vestale de Spontini (1807) / Dédicace d’Etienne de Jouy à l’impératrice Joséphine

Le 10e Festival Palazzetto Bru Zane Paris (19 juin - 4 juillet) approche accompagné, comme le Centre de musique romantique française nous en a donné l’habitude, d’échos discographiques de l’édition précédente. On attend avec impatience la sortie, fin juin, de la Hulda de César Franck, sous la baguette de Gergely Madaras, mais déjà La Vestale de Gaspare Spontini (illustration, 1774-1851), l’autre temps fort lyrique du Festival 2022, est disponible. Un enregistrement de studio (2), réalisé juste avant le concert du 22 juin au théâtre des Champs-Elysées, où Christophe Rousset trouve toute la tension dramatique requise à la tête de ses Talens Lyriques et permet à une admirable distribution de donner le meilleur de son art ; Maria Rebeka en tête, entourée de Stanislas de Barbeyrac, Tassis Christoyannis, Aude Extrémo, Nicolas Courjal et David Witczak, sans oublier le Chœur de la Radio Flamande. Ce premier enregistrement sur instruments anciens comble une lacune du catalogue et permet de prendre la mesure d’un jalon essentiel de la vie musicale du Premier Empire.
 

Etienne de Jouy (1764-1846) © Palazzetto Bru Zane - fonds Leduc

La Vestale fut accueillie de la plus enthousiaste façon lors de sa première, le 15 décembre 1807 à l’Académie impériale de musique, avec la célèbre Caroline Branchu dans le rôle de Julia – et l’impératrice dans la salle !  Un triomphe (suivi d’un centaine de représentations) qui intervenait au terme d’une longue et complexe période de préparation. Tragédie lyrique en trois actes, l’ouvrage de Spontini, marque une étape essentielle dans l’évolution de l’opéra français vers ce qui allait devenir le grand opéra. Par ses difficultés et son originalité – que Berlioz ne manqua pas de saluer par la suite – La Vestale suscita bien des réticences au départ chez les chanteurs qui devaient par la suite la conduire au succès. L’impératrice Joséphine de Beauharnais – autrement plus concernée par la musique que l’empereur – avait on le sait beaucoup contribué à « motiver » la troupe au moyen de billets « par ordre ». Dès lors, il était on ne plus naturel que le compositeur dédiât sa Vestale à celle qui l’admirait sincèrement.
Etienne de Jouy (1764-1846), auteur de l’excellent livret que Spontini avait mis en musique, a pour sa part écrit une longue dédicace à l'impératice. Des lignes, empreintes de toute la déférence requise, suivies d’un avant-propos où le librettiste s’explique sur le dénouement heureux de l’action.
 

 
Quant au 10e Festival Bru Zane Paris qui arrive (3), il rime une fois de plus avec la rareté lyrique puisque l’on y trouve Fausto (1831) de Louise Bertin, le 20 juin au théâtre des Champs-Elysées, suivi de Grisélidis de Massenet (1901), le 4 juillet dans cette même salle – la primeur de cette version de concert revenant au public montpelliérain, dès le 2 juillet au Corum.

 
Alain Cochard
 
 
 
La Vestale

Dédicace et avant-propos
                                                                                                                                   Étienne de Jouy

 
 
À SA MAJESTÉ L’IMPÉRATRICE REINE.
MADAME,

C’est avec une extrême défiance en mes propres forces que j’ose me prévaloir de l’honneur que m’a fait votre majesté, en permettant que son nom parût à la tête de cet ouvrage.
Je suis loin de croire (quelque préjugé qu’on élève contre le drame lyrique) que ce genre, où Corneille et Voltaire se sont exercés, soit au-dessous des autres parties de l’art théâtral. Dans le siècle le plus brillant de notre gloire littéraire, Quinault, parmi tant de grands écrivains, a pris un rang que la postérité lui conserve ; et de nos jours l’auteur d’Œdipe à Colonne s’est acquis une réputation méritée en marchant sur les traces de ce grand modèle.
Mais plus je suis persuadé, MADAME, qu’un bon Opéra ne peut être que l’ouvrage d’un talent distingué, moins j’avais droit d’espérer pour le mien la faveur dont VOTRE MAJESTÉ m’honore : je ne dois y voir qu’un nouvel effet de cet encouragement universel, de cette bienveillance inépuisable qu’Elle daigne accorder à tous ceux qui cultivent les arts, quel que soit d’ailleurs le succès de leurs efforts.
Si j’avais pu me flatter, en composant cette tragédie, que VOTRE MAJESTÉ daignât en accepter l’hommage, j’ose croire que cette idée, suppléant au talent qui me manque, m’aurait donné les moyens de rendre mon ouvrage plus digne de votre auguste protection.
Je suis avec un profond respect,

MADAME,
DE VOTRE MAJESTÉ IMPÉRIALE ET ROYALE,
Le très humble, très obéissant serviteur, et fidèle sujet
                                                                                                                                                    JOUY.
 

© Collection de la bibliothèque de l'Académie de France à Rome - Villa Médicis
 

AVANT-PROPOS :
 
Le trait historique sur lequel cette pièce est fondée remonte à l’an de Rome 269, et se trouve consigné dans l’ouvrage de Winckelman intitulé : Monumenti antichi inediti. Sous le consulat de Q ; Fabius, et de Servilius Cornelius, la vestale Gorgia, éprise de la passion la plus violente pour Licinius, Sabin d’origine, l’introduisit dans le temple de Vesta, une nuit où elle veillait à la garde du feu sacré. Les deux amants furent découverts ; Gorgia fut enterrée vive, et Licinius se tua, pour se soustraire au supplice dont la loi punissait son crime.
En me proposant de transporter sur la scène lyrique une action dont le nœud, l’intérêt, et les détails me paraissent convenir particulièrement à ce genre de spectacle, je ne me dissimulai pas les difficultés que présentait le dénouement.
La vérité historique exigeait que la vestale coupable subit la mort à laquelle sa faute l’avait exposée ; mais cette affreuse catastrophe, qui pourrait, à la faveur d’un récit, trouver place dans une tragédie régulière, était-elle de nature à pouvoir être consommée sous les yeux du spectateur ? Je ne le pense pas.
Le parti que j’ai pris de sauver la victime par un miracle, et de l’unir à celui qu’elle aimait, peut devenir l’objet d’une autre critique. On m’objectera que ce dénouement est contraire aux notions les plus connues, et aux lois inflexibles auxquelles les vestales étaient soumises. Je ne croirais pas avoir suffisamment justifié la liberté que j’ai prise en m’autorisant de toutes celles du genre même auquel cet ouvrage appartient, et de toutes les concessions qui lui ont été faites ; je vais essayer de prouver en peu de mots qu’en admettant, en faveur de la Vestale que je mets en scène, une exception à la loi terrible dont elle avait encouru la rigueur, je me suis du moins ménagé des prétextes historiques.
Sans doute on ne me demandera pas compte du miracle auquel Julia doit la vie : l’histoire cite plusieurs vestales arrachées à la mort par ce moyen dont les prêtres de Rome s’étaient sans doute réservé le secret. J’ose croire même qu’on ne m’opposera pas le précepte d’Horace :

Nec deus intersit, nisi dignus vindice nodus [Si vous faites intervenir un dieu, que le drame soit digne qu’un dieu le dénoue].

Mais ce n’était pas assez d’arracher la vestale au supplice, le complément de l’action dramatique exigeait qu’elle épousât son amant ; et tout en m’écartant de l’histoire en ce point seul de mon ouvrage, je puis encore m’autoriser de quelques faits consacrés par elle.
Il passait pour constant chez les Romains que le fondateur de leur empire, Romulus, devait le jour à l’hymen du dieu Mars et de la vestale Ilia : on sait aussi qu’Héliogabale (en tout autre circonstance je me garderais bien d’invoquer une pareille autorité) ; on sait, dis-je, qu’Héliogabale épousa la vestale Aquilia Severa, et que le sénat se prévalut d’exemples anciens, qu’il supposa peut-être, pour autoriser un semblable hymen. Enfin Dion Cassius parle, sans y croire il est vrai, d’une vestale Urbinia qui fut relevée de ses vœux par l’ordre des décemvirs, et se maria peu de temps après.
J’ai pensé que ces témoignages, quelques récusables qu’ils puissent paraître, suffisaient au degré de vraisemblance qu’exige le dénouement d’un drame lyrique, surtout en observant que Racine, dans la tragédie de Britannicus, s’est plus ouvertement encore écarté de l’histoire en plaçant Junie parmi les vestales, et sans pouvoir s’autoriser d’aucune exception à la loi qui défendait qu’on y fût reçu après l’âge de dix ans.
 

 
(1) www.concertclassic.com/article/la-vestale-en-concert-au-theatre-des-champs-elysees-allumer-le-feu-compte-rendu 

(2) Livre-Disque ( 2 CD) Bru Zane « Opéra français » / www.youtube.com/watch?v=-IHxldlNATQ&t=14s
Rappelons qu’une version de l’Olympie de Spontini est disponible dans cette même collection, sous la baguette de Jérémie Rhorer et avec Kate Aldrich dans le rôle-titre //

 (3) 10e Festival Bru Zane à Paris, 19 juin – 4 juillet 2023 : bru-zane.com/fr/festival/10-festival-palazzetto-bru-zane-paris/#

Illustration : Gaspare Spontini © Palazzetto Bru Zane - fonds Leduc

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