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Les Archives du Siècle Romantique (55) – Djamileh : l’échec par lequel Bizet trouva sa voie (Lettres de Bizet à Edmont Galabert)

La longueur ne fait pas tout ! Le répertoire des opéras en un acte regorge de chefs-d’œuvre que le Palazzetto Bru Zane s’attache à faire revivre. Peu après la sortie d’une admirable version de la Princesse jaune dans la collection Opéra Français, l’ouvrage de Saint-Saëns tient l’affiche à l’Opéra de Tours les 1er, 3 et 5 octobre dans une production du PBZ. A côté de ce petit bijou, il en fallait un autre pour remplir une soirée : c’est sur la Djamileh de Georges Bizet que le choix s’est porté, partition merveilleuse inspirée du conte oriental Namouna d’Alfred de Musset. Louis Gallet en a signé le livret, comme pour la Princesse jaune, ouvrage exactement contemporain. A l’instar de celle de Saint-Saëns, la partition de Bizet (handicapée par une Aline Prelly notoirement insuffisante dans le rôle-titre) ne connut guère de succès et, créée le 22 mai 1872 au Comique, disparut de l’affiche le 29 juin au bout de dix représentations. Il reste que l’expérience de sa composition s’avéra extrêmement positive pour un musicien qui y acquit la certitude d’avoir « trouvé sa voie » – les trois lettres de Bizet à Edmont Galabert présentées ci-dessous le prouvent. Il ne lui restait plus qu’à l’explorer à partir du livret, tiré de la Carmen de Prosper Mérimée, que Henri Meilhac et Ludovic Halévy lui fournirent. La gloire l’attendait, posthume hélas ...  
 
La Princesse jaune et Djamileh occupent bientôt la scène tourangelle dans une mise en scène de Géraldine Martineau (le spectacle sera repris à Tourcoing en mai prochain). Avec Jenny Daviet (Léna) chez Saint-Saëns et Aude Extrémo (Djamileh) chez Bizet, les ouvrages auront en commun l’un des plus remarquables ténors de la nouvelle génération : Sahy Ratia, tour à tour Kornélis et Haroun. Laurent Campellone sera à la tête de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire. Autant dire qu’un pur délice lyrique se profile.
 
Alain Cochard
 

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© BnF - Gallica
 
Lettres des Georges Bizet à Edmond Galabert.
Publiées dans Georges Bizet, Lettres à un ami, rassemblées et présentées par Edmond Galabert, Paris : Calmann-Lévy, 1909, p. 196-200.

 

 
Septembre 1871
Mon cher ami,
[…] Je vais rentrer à Paris demain ou après. Écrivez-moi donc rue de Douai, 22. Rien de très nouveau, si ce n’est que je vais prendre probablement le 1er novembre, la position de chef du chant à l’Opéra. C’est une situation que n’ont dédaignée ni Hérold ni Halévy. Je ne serai pas fort occupé, et les appointements sont relativement bons : cinq ou six mille, et, de plus, des arrangements de partitions, etc.
Les directeurs de l’Opéra-Comique, ne voulant pas risquer de grandes pièces cette année, m’ont demandé d’écrire la partition d’une Namouna assez intéressante. La chose était pressée, et l’on m’a mis l’épée dans les reins ; mais aujourd’hui, ces messieurs donnent tous leurs soins au Fantasio de Jacques Offenbach, et mes exigences légitimes de distribution retardent la chose. Je publie en ce moment chez Durand (ancienne maison Flaxland) un recueil de dix morceaux à quatre mains intitulé : Jeux d’enfants ? J’en suis assez content.
Du reste, je me fais chaque jour plus fort contre les petites émotions de la vie. Ce n’est pas à proprement parler de la philosophie, mais c’est un immense dédain, un souverain mépris qui en tiennent lieu. […]
Trouvez deux minutes à donner à votre ami dévoué,
Georges Bizet
 
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Bizet en 1874, gravure d'après une photographie d'Etienne Carjat / Musica Février 1905 ( p. 19) © Bibliothèque du Conservatoire de Genève

Janvier 1872
Cher ami,
[…] Rien de nouveau.
On m’a écrit hier de l’Opéra-Comique pour la mise en répétitions de Namouna ; mais j’ai des exigences qui empêcheront probablement l’affaire d’aboutir.
Mille amitiés de votre tendrement dévoué,
Georges Bizet
 

© Collection de la Bibliothèque de l'Académie de France à Rome – Villa Médicis

17 juin 1872
Mon cher ami,
Vous devez m’en vouloir, mais si vous saviez quel hiver écrasant j’ai eu à passer, vous me plaindriez sincèrement.
Mille francs de leçons par mois, Djamileh à faire répéter et à orchestrer, et tous les ennuis ordinaires de la vie de Paris qui dévorent la meilleure partie de l’existence. […]
Djamileh n’est pas un succès. Le poème est vraiment antithéâtral, et ma chanteuse a été au-dessus de toutes mes craintes. Pourtant, je suis extrêmement satisfait du résultat obtenu. La presse a été très intéressant, et jamais opéra-comique en un acte n’a été plus sérieusement, et, je puis dire, plus passionnément discuté. La rengaine Wagner continue. Reyer (les Débats), Weber (le Temps), Guillemot (Journal de Paris), Joncières (la Liberté) (c’est-à-dire plus de la moitié du tirage de la presse quotidienne) ont été très chauds.
De Saint-Victor, Jouvin, etc., ont été bons en ce sens qu’ils constatent l’inspiration, talent, etc., le tout gâté par l’influence de Wagner.
Quatre ou cinq folliculaires ont éreinté l’ouvrage ; mais les feuilles qu’ils ont à leur disposition ne leur donnent aucune importance.
Ce qui me satisfait plus que l’opinion de tous ces messieurs, c’est la certitude absolue d’avoir trouvé ma voie. Je sais ce que je fais.
On vient de me commander trois actes à l’Opéra-Comique.
Meilhac et Halévy font ma pièce.
Ce sera gai, mais d’une gaieté qui permet le style. […]
Mille amitiés de votre fidèle et dévoué,
Georges Bizet
 

 
Saint-Saëns : La Princesse jaune
Bizet : Djamileh
Les 1er, 3 & 5 octobre 2021
Tours – Opéra
operadetours.fr/fr/programmation/la-princesse-jaune-djamileh-camille-saint-saens-georges-bizet
 
Reprise à Tourcoing les 19, 21 et 22 mai 2022 : www.atelierlyriquedetourcoing.fr/bizet-djamileh-saint-saens-la-princesse-jaune-19-21-22-mai-2022/

Illustration : Portrait de Bizet par Félix-Henri Giacomotti © Paris Musées / Musée Carnavalet

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