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Les Archives du Siècle Romantique (48) – Passionnément, comédie musicale d’André Messager, au théâtre de la Michodière en 1926
André Messager en 1926 © H. Manuel
Son compte-rendu occupe nos Archives du Siècle Romantique du mois tandis que le premier enregistrement mondial dans la collection « Opéra Français » de Bru Zane est annoncé pour l’année qui vient avec des chanteurs de premier ordre habitués des projets du Palazzetto : Véronique Gens (Ketty), Nicole Car (Julia), Chantal Santon-Jeffery (Hélène), Etienne Dupuis (Robert Perceval), Eric Huchet (Stevenson), Armando Noguera (Harris). Ces artistes étaient réunis il y a peu à Munich, aux côtés de l’Orchestre de la Radio de Munich placé sous la direction de Stefan Blunier ; parallèlement à la session d’enregistrement, une version de concert de Passionnément a été donnée au Prinzregentheater de la capitale bavaroise le 13 décembre. Retransmise en direct sur BR Klassik (2), elle demeure disponible à la réécoute jusqu’au 13 janvier prochain (bit.ly/2WHHYXj) et ne rend que plus impatient de découvrir le livre-disque – avec dialogues en français, bien évidemment – annoncé pour le mois de juin.
Alain Cochard
@ BnF Gallica
Théâtre de la Michodière. — Passionnément, comédie musicale en trois actes de MM. Maurice Hennequin et Albert Willemetz, musique d’André Messager.
Ce fut une soirée exquise que cette première au théâtre de la Michodière. M. André Messager plus jeune, plus en verve que jamais nous a ravis par la fraîcheur de ses idées mélodiques et la finesse pleine de science musicale de son orchestration si purement classique. Et que d’esprit dans ces pages dont tant de charme se dégage et gagne le public qui se laisse bercer et séduire en les écoutant. Voilà de la vraie musique d’opérette et d’opérette française. Ce qui n’est pas pour nous déplaire.
Tout de même on commence à se lasser de cette musique d’importation américaine qu’on nous force à consommer jusqu’à l’indigestion, pendant que les Américains ont renoncé, eux, depuis la guerre, à boire notre Champagne pétillant, spirituel et mousseux comme notre musique française d’opérette, quand elle est signée Messager et Reynaldo Hahn, aujourd’hui, et hier, Offenbach, Hervé, Lecoq, Planquette, Métra, voire même Audran, Serpette, Varney et d’autres que j’oublie. Alors aussi, on dansait, on danse sur cette musique là, restée toujours jeune, mais on danse « sans se secouer les puces » ainsi que le constatait certain soir un de nos plus célèbres humoristes, en regardant s'agiter, se trémousser, se frotter, un couple sur un rythme — est-ce bien un rythme — de shimmy.
Tous nos compositeurs modernes d’opérette, dont quelques uns sont pourtant bien doués, ont perdu leur temps et leur talent à vouloir s’américaniser pour plaire à une clientèle cosmopolite où le bon goût français n’a plus rien à voir.
Messager a sonné la charge, malgré son âge, et avec quelle vigueur ! Que les jeunes se rallient à son geste de délivrance et reprennent foi en eux-mêmes et en notre clair génie musical français. Qu’ils aillent entendre et réentendre Passionnément, qu’ils relisent les partitions des compositeurs dont nous citons les noms et toute l’œuvre de Messager et ils rentreront, le cœur en fête, dans la vraie tradition de l’école française, qui est celle de la mélodie... la mélodie éternelle comme la vérité. La mélodie, sans laquelle la musique n’est plus qu’une combinaison de technicien impuissant à créer.
Tout ceci paraîtra bien grave à propos d’une opérette. Peut-être ! Mais justement, c’est que la partition que Messager a écrite sur le livret de Passionnément, fait paraître encore plus... inutiles nombre de partitions franco-américaines, qui ne sont ni françaises ni américaines, en vérité et qu’on avait la prétention de nous imposer comme étant la musique nouvelle qui devait remplacer l’ancienne. Halte-là. Nous avons l’occasion, au sortir d’une soirée qui fut un véritable régal pour les oreilles de protester à nouveau — car tous ceux qui nous lisent n’auront pas oublié que ce n’est pas la première fois que nous défendons la musique française contre les compositeurs français eux-mêmes, qui ne savent ni se défendre ni secouer le joug étranger, auquel ils ne doivent qu’une seule chose : la perte de leur personnalité — et puisque le maître Messager nous fournit ladite occasion, nous la saisissons par la baguette et protestons une fois de plus contre l’envahissement de toutes nos scènes par la musique exotique qui ne permet plus à nos compositeurs nationaux de vivre de leur travail chez eux.
Dans L'Intransigeant du 17 janvier 1926 ... © DR
Et maintenant, faut-il vous narrer l’historiette, prestement menée jusqu’au dénouement, par deux maîtres librettistes : Maurice Hennequin et le prince des lyrics, Willemetz, qui donna prétexte à Messager d’écrire une jolie partition de plus ? À quoi bon ? Tous les quotidiens vous l’ont racontée avec force détails. Notre magazine arrivant bon dernier, nous préférons dire notre joie et essayer de vous la faire partager.
Allez au Théâtre de la Michodière entendre de la claire, souriante et tendre musique, émanation distinguée et gracieuse de notre génie national par un maître du genre, dont le savoir technique n’a d’autre but que de mettre en valeur, d’éclairer son inspiration mélodique, toujours renouvelée comme les printemps le sont par le soleil.
L’interprétation de Passionnément est-elle à la hauteur de cette œuvre de choix ? Oui, en ce qui concerne le dialogue parlé ; moins pour la partie chantée. Par exemple, il faut louer sans réserve M. Koval, artiste d’une fantaisie rare et personnelle. Koval campe son Américain Stevenson de façon caricaturale inoubliable. Son accent plaisant, son geste toujours en situation, sa physionomie mobile et malicieuse, son comique si fin dans la charge la plus outrancière sont d’un style parfait. C’est de l’art. Du grand art. Enfin M. Koval, avec son filet de voix, chante avec goût et ne brise jamais le rythme de la musique. C’est un interprète précieux pour l’opérette.
Géo Bury, interprète de Robert Perceval, dessin de Roger Roy © DR
Félicitons encore M. Géo Bury (Robert Perceval) de savoir jouer et chanter et ses camarades Lucien Baroux et Charles Lorrain, excellents acteurs tous deux.
Mlle Jeanne Saint Bonnet, qui nous avait infiniment plu au Théâtre Daunou, dans Elle ou moi, et dans Trois jeunes filles nues aux Bouffes est toujours charmante à voir évoluer sur la scène. Elle dit à ravir, mais il nous a semblé qu’elle était moins à l’aise dans la partie vocale importante de son rôle. Il est vrai qu’elle avait le trac et que la musique de Messager n’est pas celle de tout le monde. Mlle Denise Grey a été la joie de la soirée avec Koval. Dans son rôle de soubrette elle fut délicieuse et souriante à plaisir. Elle est pleine d’allant, d’entrain et gaie... Et si agréable à regarder elle aussi. Mlle Renée Duler chante avec esprit et joue comme elle chante. Elle fut parfaite en Hélène Le Marrois.
La pièce bien montée a été mise en scène par Edmond Roze, à quoi bon ajouter qu’elle fut remarquable et pittoresque en ses nombreux dessins.
ANDRÉ LÉNÉKA
(1) Christophe Mirambeau : « André Messager, Le passseur de siècle » (Actes Sud / Palazzetto Bru Zane, 505 p. /13,50 €)
(2) www.br-klassik.de/programm/radio/ausstrahlung-2284460.html
Photo André Messager © Musica
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