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Les Archives du Siècle Romantique (16) - Anecdote sur le voyage du compositeur Hervé en Égypte

Revoilà le « compositeur toqué » (1) ! Après le succès des Chevaliers de la Table ronde d’Hervé (2), le metteur en scène Pierre-André Weitz s’est emparé de Mam’zelle Nitouche Créé à Toulon en octobre, le spectacle débarque sur la scène du théâtre Graslin de Nantes pour cinq représentations.
Mets de choix à l’approche des fêtes que ce vaudeville-opérette en 3 actes et 4 tableaux, qui fut créé le 26 janvier 1883 à Paris au théâtre des Variétés et valut au compositeur son dernier grand succès. C’est à partir d’un livret d’Henri Meilhac et Albert Millaud, qu’Hervé élabora ce savoureux ouvrage. Il présente d’ailleurs une dimension autobiographique puisqu’on y découvre le personnage de Célestin, organiste au couvent des Hirondelles le jour et compositeur d’opérette la nuit sous le nom de Floridor... Un Floridor qui ne laisse pas indifférente l’une de ses élèves au couvent, Denise de Flavigny alias Mademoiselle Nitouche.

© Collection PBZ
 
Si bien des titres d’Hervé ont été oubliés, Mamz’elle Nitouche fait exception et a même fait l’objet de deux adaptations cinématographiques au XXe siècle, l’une en 1931, l’autre en 1954, Célestin-Floridor y étant respectivement interprété par Raimu et Fernandel.
C’est à Damien Bigourdan qu’échoit le rôle dans la  production de Bru Zane France, en coproduction avec Anger Nantes Opéra, les Opéras de Toulon, Limoges, Rouen Normandie et Montpellier Occitanie – ce qui, comme pour les Chevaliers, augure de nombreuses reprises. Lara Neumann, Eddie Chignara, Antoine Philippot, Samy Camps, Olivier Py, Pierre Lebon, David Ghilardi, etc. – tous sous l’excellente baguette d’un maître ès musique légère : Christophe Grapperon – sont à leur côté du 14 au 20 décembre à Nantes.
 
Une parfaite occasion pour faire place à Hervé dans le 16e épisode des Archives du Siècle Romantique que Concertclassic vous présente chaque mois en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane. Et puisque l’inattendu fait souvent partie de l’univers du « compositeur toqué », ce n’est pas de Mam’zelle Nitouche qu’il sera question, mais ... du voyage en Egypte que le compositeur effectua en 1863 en compagnie de son fils, Gardel-Hervé, qui en a laissé un récit assez haut en couleur. Une contribution à la (petite) histoire de la musique -  et à celle du chemin de fer naissant !
 
Alain Cochard
 

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Anecdote sur le voyage du compositeur Hervé en Égypte
 
En 1863, alors que le chemin de fer avait fait son apparition en Égypte, la première ligne qui fut créée était celle d’Alexandrie au Caire avec arrêt dans une petite localité située entre ces deux grandes villes. Mais l’installation des gares, les travaux de la voie s’avançaient bien doucement et restèrent longtemps à l’état primitif comme les machines à vapeur et tout le matériel. Les wagons semblaient d’immenses boîtes ornées de quatre petites fenêtres et d’une seule porte. L’intérieur des wagons était sans aucune espèce de confort et l’on y entassait les voyageurs comme des troupeaux de moutons. Malgré tous ces inconvénients, l’on était encore trop heureux de ce commencement d’organisation. Il fallait rester debout dans ces semblants de wagons jusqu’à l’arrivée du train à destination. D’ailleurs le trajet d’Alexandrie au Caire n’était pas excessif, car la distance est d’environ 150 à 160 kilomètres soit 4 ou 5 heures au plus, ça n’était pas bien terrible, mais tout de même ça commençait à bien faire pour ces bons Arabes habitués à marcher ou installés sur leurs coquettes montures portées par de jolis et nerveux petits ânes.

© Collection PBZ

Alors que depuis quelque temps toute la troupe des comédiens engagés pour le théâtre du Caire (dont le directeur s’éclipsa en la laissant en plan) avait pu repartir en France grâce au bacchis d’Ismaël Pacha et des démarches d’Hervé auprès du consul de France qui se montra vraiment le digne représentant de notre pays. Hervé, lui, voulu rester quelque temps encore au Caire, quelques musiciens et artistes chanteurs (une dizaine de personnes en tout) tinrent à partager le sort de leur bon chef d’orchestre et ami et restèrent avec lui.
 
Hervé organisa de nouveaux concerts qui se donnèrent dans les pittoresques et admirables jardins de l’Esbékyeh, non loin du Mousky. Un gros succès et de belles recettes pendant trois mois récompensèrent nos artistes des tribulations passées et à la fin de juin, à leur tour, ils partirent se dirigeant avec armes et bagages à la gare du Caire pour gagner Alexandrie puis rentrer en France. Nos voyageurs, qui s’étaient quelque peu attardés en quittant les amis, connaissances et admirateurs, arrivèrent à la gare au moment où l’on venait de fermer les portes des wagons. Les guichets étaient fermés et le train prêt à partir : ce train qui, en arrivant à Alexandrie, déposait les voyageurs pour la France au port où était amarré le grand bâtiment des messageries impériales Le Byzantin.

Caricature d'Hervé © Collection PBZ

Justement inquiets et affolés, nos artistes couraient à droite et à gauche et interrogeaient des employés qui, ne parlant pas français, ne les comprenaient pas ou ne voulaient pas modifier leur travail en empêchant le train de partir à son heure. Tout à coup Hervé avise un superbe wagon, orné de tentures, drapeaux, confortables fauteuils, banquettes de velours, et que l’on venait d’accrocher au train, wagon préparé certainement pour un important personnage et sa suite. Sans perdre une seconde, d’un signe, d’un mot, Hervé entraîne ses artistes, les fait vivement monter dans ledit wagon et ferme la porte. Ils se mettent aux fenêtres en faisant signe d’adieu et d’amitié, et comme ils sont coiffés de tarbouches, la coiffure du pays et qu’ils font des salutations, on les prend certainement pour les personnages attendus. L’ordre est donné de partir, on entend le sifflet de la locomotive et en route avec un retard de quelques minutes.
Pendant le trajet, tous nos artistes devisent entre eux pour tâcher de conjurer des événements désagréables s’ils s’en présentaient jusqu’à Alexandrie. Chacun dit son mot, donne son idée, mais Hervé est toujours pour le grand remède pour le grand mal et son remède c’est la musique !... « Quoiqu’il arrive quelqu’explication qu’on demandera, la réponse sera la musique. On leur en fera, on leur en donnera de la musique. Nous leur jouerons ma marche égyptienne et nous leur chanterons une cantate. Pour commencer, sortez vos instruments de leurs gaines et préparons-nous à tout, car dans un instant nous arriverons à la station intermédiaire. »
 

Caricature d'Hervé © Collection PBZ

Ce qui fut dit fut fait et quelques moments après on arrivait à ladite station. Tous s’apprêtaient à donner l’aubade lorsque la porte du wagon s’ouvrit et des Arabes parurent portant des rafraichissements, des gourmandises, qu’ils disposèrent sur la table disposée dans le wagon, puis ils se retirèrent en marmottant dans leur langage des compliments (certainement) et des salutations sans fin, puis fermèrent la porte. Ahuris absolument par ce semblant de conte de fées, nos artistes allaient faire honneur à cette tentante invitation, mais au moment de commencer, la porte du wagon s’ouvrit de nouveau et un élégant personnage coiffé également d’un tarbouche et parlant anglais monta dans le wagon, referma la porte derrière lui et s’installa. Hervé avec non moins d’élégance lui demanda de bien vouloir prendre part à leur collation. Le contrebassiste de la troupe, parlant très bien l’anglais, fut l’interprète et, après s’être tous installés, les explications eurent lieu.
 
Ce wagon avait été préparé pour un important Pacha venu de Khartoum et qui devait voyager avec sa suite jusqu’à Alexandrie, mais au dernier moment il y eut contrordre, mais trop tard pour désorganiser le train qui déjà était en retard. De là la chance des artistes français ayant pu s’installer sans trop de difficultés. Quant à la présence de sir W., jeune conseiller d’ambassade qui partait pour la France, il devait rejoindre ledit Pacha à la station que l’on venait de quitter l’accompagner jusqu’à Alexandrie.

© Collection PBZ
 
À son tour, Hervé conta l’odyssée de son voyage qui amusa et intéressa beaucoup le jeune conseiller qui s’offrit le plus agréablement du monde à se montrer utile et agréable aux spirituels et charmants Français si l’occasion s’en présentait. Et l’occasion se présenta : d’abord à Alexandrie où une réception avait été préparée pour le Pacha et où Hervé fut heureux de faire de la musique, secondé par ses artistes ; puis plus tard à Marseille, à la rentrée en France, où Hervé, fêté par tous ses amis de voyage reconnaissants et par nombre de curieux le prenant pour le Pacha. Hervé ne voulut pas quitter sir W., le très aimable Anglais, sans lui témoigner sa reconnaissance, mais celui-ci ne voulut qu’une chose pouvant lui être agréable : c’était d’offrir à Hervé et ses compagnons (qui complurent à rester quelques jours à Marseille) quelques verres de whisky avant son départ immédiat pour Londres. On se rendit donc joyeusement à la Cannebière et c’est au café du commerce que l’on s’arrêta. Le café du commerce était dirigé par la belle Malaurie Allemand qui, quelques années plus tard, avec son mari Marius Allemand, artiste musicien de beaucoup de talent, présidèrent à Paris aux destinées de l’Eldorado, qui sous cette habile et artistique direction devint Théâtre-Concert et eut le succès immense que Paris lui fit pendant plusieurs années. La première pièce qui fut représentée sous cette magistrale direction avait pour titre Pichenette et la première Revue Tout Paris à l’Eldorado, toutes deux avaient pour auteurs Paul Burani et Gardel-Hervé, le propre fils d’Hervé avec lequel il fit cette curieuse et intéressante campagne théâtrale d’Égypte.
 
(Souvenirs). 26. 2. 25
GH
Bibliothèque-Musée de l’Opéra. Fonds Hervé Div 7 (4)

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(1) Un compositeur toqué, titre d’un ouvrage d’Hervé créé en 1854, qui devint vite le surnom du père de l’opérette.

(2) Comme cela avait été le cas pour les Chevaliers de la Table Ronde, on pourra prolonger le plaisir de Mam’zelle Nitouche avec un CD d’extraits (Collection PBZ / Opérette française)

 A ne pas oublier : "Hervé par lui même, écrits du père de l'opérette présenté par Pascal Blanchet" ( Actes Sud / Palazzetto Bru Zane, 220 p. , 9,5 €)
 
Hervé : Mam’zelle Nitouche
Les 14, 15, 17, 19 et 20 décembre 2017
Nantes – Théâtre Graslin
www.angers-nantes-opera.com/nitouche.html
 
Illustration (caricature d'Hervé, détail) © collection PBZ
 

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