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​« Le voyage dans le temps » par la Compagnie Sensible au Festival international de musique de Dinard 2025 – Rêve éveillé – Compte rendu

 

 
Pendant longtemps très axé sur le piano et la musique de chambre, le Festival international de musique de Dinard a beaucoup diversifié sa programmation depuis que Yann Ollivier en a pris la direction artistique l’an passé. Avec des propositions parfois inattendues ; s’agissant du spectacle de la Compagnie Sensible, cela aura été l’occasion d’une découverte aussi singulière que séduisante.
 
Un salon de musique ancienne vers 1920 
 
L’ensemble dont il est question fonctionne dans le cadre d’une association fondée en 2019 qui – loin de se cantonner à la seule musique – se donne pour mission de valoriser les patrimoines anciens, matériels comme immatériels, en cherchant à entretenir avec eux un rapport susceptible de parler au public d’aujourd’hui. Pierre Cléreau, Le sieur Leloup, Antoine Albanese, Jean-Benjamin de Laborde, Jean-Baptiste Krumpholz, Félix Blangini : ces noms bien oubliés relevés dans le programme « Un loyal cœur : pour un salon de musique ancienne vers 1920 » pourraient faire croire que l’on a affaire à un spectacle ultrapointu réservé aux fanatiques de la rareté. Il n’en est rien. Ce n’est là que la manifestation d’une profonde curiosité et de l’envie de ressusciter des partitions méconnues –  avec talent et imagination.

Aux côtés de Sylvain Chen, directeur artistique, autant à son aise au violon qu’à la viole d’amour, se tiennent trois remarquables chanteuses multi-instrumentistes : Pétronille Ancel (soprano, flûtes allemandes et douces), Maylis Moreau (mezzo, dessus et basse de viole) et Emma-Lisa Roux (soprano, luth, guitare Renaissance et théorbe). Une équipe très complice que l’on retrouve au théâtre Debussy dans une atmosphère secrète, aux chandelles, pour « un voyage dans le temps » au cours duquel on entendra les interprètes en solo, à deux ou trois voix, parfois uniquement chanteuses, parfois concomitamment chanteuses et instrumentistes – passant avec une facilité incroyable d’un instrument à l’autre.

 

Sylvain Chen, Maylis Moreau & Pétronille Ancel © Jean Enders

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Un soir, dans un vieux château ...
 
Sylvain Chen a imaginé un scénario se déroulant au mitan des années 1920 (période qui, historiquement, voit s’amorcer le mouvement de renaissance des instruments anciens) quelque part en province, dans le château d’une arrière-grand-tante. Quatre musiciens se rendent un soir dans la demeure de la vieille dame et y découvrent divers instruments anciens auxquels ils redonnent vie en s’inspirant des peintures disposées sur les murs.
Divisé en quatre tableaux d’ambiance dont les titres résument l'esprit (Pénombres, Pastorales-Enfance, Un cœur à prendre, Souvenirs d’amour ), le programme associe les pièces des auteurs méconnus mentionnés auparavant à celles de compositeurs plus célèbres – Duphly, Gossec, Berlioz, Ravel, Saint-Saëns, Massenet, Hahn, d’Indy ou N. Boulanger – toutes adaptées pour les instruments anciens que les interprètes ont découverts au château. Qu'il s'agisse de pièces anciennes ou plus tardives « dans le goût ancien » (tels le Madrigal ancien op. 4 de D’Indy ou Un loyal cœur extrait des Chansons et Madrigaux de Hahn), les arrangements séduisent d’autant plus que chacun fait l’objet d’une répartition des voix et d’une instrumentation particulières. A chaque fois des couleurs différentes, parfaitement accordées au caractère, s’offrent à l’oreille.  

 

Pétronille Ancel, Maylis Moreau, Emma-Lisa Roux © Jean Enders

 
Travail d’orfèvrerie
 
Autre particularité de ce « voyage dans le temps », tous les morceaux, des plus anciens aux plus proches de nous sont chantés en prononciation restituée, ce qui sied d’ailleurs fort bien au Ciel, aer et vens de Roussel, sur un poème de Ronsard, à Ronsard à son âme de Ravel, ou à Marquise vous souvenez-vous de Saint-Saëns. Un vrai travail d’orfèvrerie – chaque pièce mériterait qu’on s’y attarde – pour un résultat d’une poésie entêtante.
De quelques mots, non dénués d’humour, les musiciens introduisent les différentes étapes du programme et savent préparer l’écoute. Si le répertoire vocal domine très largement on trouve aussi quelques plages instrumentales, dans des transcriptions non moins finement ouvragées : La Villeneuve de Duphly, L’Adolescente tirée des Petits Âges (7Ordre) de Couperin, la Romance de la 1ère Sonate de Krumpholz – une pure merveille ! – ou encore un très beau prélude que Sylvain Chen improvise avec art pour introduire le Madrigal ancien de D’Indy.
Vrai rêve éveillé à travers cinq siècles de musique que ce « voyage dans le temps », aussi savant que profondément charmeur. Si un concert de la Compagnie Sensible se présente à vous, pas une hésitation : courrez-y !
 
Alain Cochard
 

 Dinard, Théâtre Debussy, 29 octobre 2025
 
Photo © Jean Enders

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