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Le Vaisseau fantôme de Wagner, interview d’Oswald Sallaberger


Avant la salle Pleyel, le 10 février, Oswald Sallaberger dirige Le Vaisseau fantôme (en version de concert mise en espace par Alain Garichot), les 4 et 6 février à Rouen et le 8 au Havre. Rencontre avec le directeur musical de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen.

Jean-Charles Hoffelé : Voici huit années que vous présidez aux destinées de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen. Où en êtes vous de votre travail avec cette formation ?

Oswald Sallaberger : L’orchestre se compose de quarante musiciens titulaires, auquel s’ajoute un noyaux de quarante autre instrumentistes qui, si ils n’ont pas le statut de leurs collègues participent à la formation régulièrement. J’ai pris mon temps pour les réunir : cinq ans. Je les ai mariés peu à peu, en construisant un équilibre toujours délicat à préserver. Et dès les concours et les auditions j’ai demandé à chaque instrumentiste de présenter une œuvre du XVIIIe, puis une du XIXe et enfin une du XXe, je voulais les entendre dans des styles différents, juger de leur flexibilité qui est à mes yeux un critère essentiel. L’ensemble peut s’augmenter d’une vingtaine de supplétifs et nous pouvons donc réunir exceptionnellement cent musiciens. Cette géométrie variable nous permet d’aborder tous les répertoires du domaine symphonique et lyrique, du classicisme au post romantisme. Je tenais beaucoup à cette souplesse, et j’encourage évidemment la pratique de la musique de chambre. Il faut dans ce type d’institution une pluridisciplinarité qui permet aux musiciens de développer des expériences communes qui enrichiront le travail au sein de l’orchestre. En huit ans et même si il y a encore un certain chemin à parcourir d’autant que nous espérons atteindre une perfection relative mais une perfection tout de même, l’orchestre a trouvé une identité sonore, mais sans que cela le fige en rien. Nous optons toujours pour une grande souplesse, ce qui nous permet de nous colleter à des styles très différents.

Et par exemple de demander à vos cordes de se monter en boyaux lorsque vous avez abordé Zaïde de Mozart…

Oswald Sallaberger : Oui, c’était un challenge, mais en France, où l’essor de la pratique sur instruments d’époque et la redécouverte du patrimoine baroque a été si florissante, les instrumentistes sont plus sensibles qu’ailleurs à ces paysages nouveaux. L’apport de la douceur, des couleurs bien plus irisées produites par les cordes en boyaux capturait si bien les musiques orientalistes de Zaide que cette transformation du jeu n’a pas posé de problème, du moins pas qui ne puisse être résolu. Et l’orchestre a appris à s’écouter différemment, dans d’autres rapports de dynamique. Mais le plus important au bout de huit ans c’est que nous nous connaissons tous les uns des autres. Je sais les points forts et les faiblesses de mon orchestre et il sait mes qualités, et mes défauts car je ne cache pas ces derniers. Nos rapports sont basés sur une grande franchise et cette franchise est rendue possible, supportable, par le but que nous nous sommes fixés et l’amour que nous mettons quotidiennement à notre travail.

Vous aviez abordé en 2004 Tristan et Isolde et cette année vous proposez une lecture du Vaisseau fantôme. Ne faites-vous pas les choses un peu à l’envers ?

Oswald Sallaberger : Tristan et Isolde, c’était un défi nécessaire, et je suis heureux que nous l’ayons relevé. Aborder aujourd’hui Le Vaisseau fantôme, j’envisage cela comme un retour au source de l’opéra wagnérien. On s’accorde pour dire que Wagner est devenu Wagner véritablement dans cet ouvrage, quelles que soient les qualités des Fées, de La défense d’aimer ou de Rienzi. Je ne peux m’empêcher de penser, en dirigeant Le Vaisseau fantôme, qu’il s’agit d’une œuvre marquée fortement du sceau de l’autobiographie. Wagner a conçu son opéra sur le bateau qui l’emmenait de Riga vers l’Allemagne. Il était le fugitif, un rôdeur des mers tout comme le Hollandais, il a essuyé des tempêtes, connu les périls d’une traversé tumultueuse à plus d’un titre.

L’élément marin si omniprésent dans l’ouvrage, est une transcription naturaliste dictée par l’expérience, c’est pour cela qu’elle sonne si vrai. Un autre point : on ne le souligne pas assez, mais le Vaisseau fantôme, qui fut écrit à Meudon et appartient donc aussi à l’histoire de l’opéra français, parisien pour ainsi dire, peut être souvent pris en flagrant délit d’Italianisme. Wagner était fasciné par l’Italie, il vouait un culte à Norma, il mourra à Venise. J’aime souligner tout ce que l’on peut croiser ici de références à l’opéra italien – Le Vaisseau fantôme c’est aussi, même pas seulement, une suite de numéros musicaux. Et jusque dans l’orchestre, je veux mettre plus de lumière, plus d’embruns. Et comment ne pas évoquer la proximité des opéras romantiques de Weber…Vous savez, c’est vraiment l’œuvre d’un jeune trentenaire. Wagner l’a écrite en sept semaines, cela ne lui arrivera plus et pour la Tétralogie il composera très lentement.

Vous donnerez l’ouvrage à Pleyel dans une mise en espace d’Alain Garichot. Dites nous en un peu plus.

Oswald Sallaberger : J’ai toujours été assez dubitatif sur le fait de mettre en scène - sauf pour Tristan et Isolde – les opéras de Wagner. Leur aspect mythologique, leur recours au merveilleux, au surnaturel, au mystère, s’accommodent assez mal de l’illustration scénique. Et le Vaisseau fantôme n’est pas le plus aisé à monter. Par des jeux de lumières, l’orchestre qui sera en scène, figurera le vaisseau. C’est de lui que le Hollandais émergera pour son monologue. Je voulais entendre monter « Die Frist ist um » des cordes. Les marins joyeux de Daland domineront l’orchestre, mais lorsque le chœur se fera menaçant pour le « suicide » de Senta, il viendra à l’avant-scène, et engloutira littéralement la jeune-fille. Alain Garichot a pensé une véritable action scénique délivrée des encombrements d’un décor. Le drame wagnérien devrait s’en trouver encore plus aiguisé.

Vous consacrez toute votre énergie à l’Opéra de Rouen, mais vous entendra-t-on avec d’autres formations au cours de la saison ?

Oswald Sallaberger : C’est un choix, mais d’autre part je ne peux pas me disperser, le travail est trop important et je suis heureux d’avoir encore deux saisons supplémentaires avec mes musiciens. Je n’ai pas d’agent international et pour l’instant je n’en veux pas. Mon plaisir c’est mon travail à Rouen, dans cette maison à laquelle je me suis tant attaché. Je leur ferai une petite infidélité pourtant : j’ai accepté de diriger au printemps prochain, pour le Prinz Regent Theater de Munich, Cosi fan tutte.

Propos recueillis le 2 janvier 2007 par Jean-Charles Hoffelé

Le Vaisseau Fantôme de Wagner, Opéra de Rouen, Théâtre des Arts, Rouen, les 4 et 6 février, Le Volcan, Le Havre, le 8 février, Salle Pleyel, Paris, le 10 février.

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