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Le Trouvère selon Louis Désiré à l’Opéra de Marseille – 50 nuances de noir – Compte rendu

L’opéra de Marseille referme sa saison du centenaire par un Trouvère coproduit avec l’Opéra de Saint-Etienne. Donné chez les «verts» à l’automne 2023 ce spectacle, mis en scène par Louis Désiré, avait obtenu un beau succès permettant à Angélique Boudeville de prendre avec bonheur le rôle de Leonora.
 
Minimalisme et efficacité dramatique

Comment sortir de ce pétrin ? Un enfant enlevé, un enfant jeté dans un bûcher par erreur, deux hommes qui ne savent pas qu’ils sont frères, qui aiment la même femme – l'affaire finira mal ! –, une gitane qui veut aller au bout de sa vengeance : on a déjà fait moins biscornu comme livret d’opéra ! Et pourtant Verdi a composé pour cet ouvrage l’une de ses partitions les plus abouties dont le succès ne s’est jamais démenti depuis la création au Teatro Apollo de Rome en janvier 1853.

Comment sortir de ce pétrin ? La question, Louis Désiré se l’est peut-être posée au moment de débuter son travail. Et il n’a certainement pas mis beaucoup de temps pour trouver la solution. Celui qui déclarait un jour « Dessiner la nuit et éclairer l’obscurité me plaît » trouve dans l’ouvrage de Verdi un terrain d’expression sombre, sordide presque, dont il s’empare à bras le corps pour éclairer dans le noir les âmes et les sentiments des protagonistes. C’est là toute l’intelligence de son travail, idéalement complété par les décors et costumes du compagnon de toujours Diego Méndez-Casariego et par les lumières de Patrick Méeüs. On ne trouve ici ni château, ni camp de gitans, ni représentation loufoque ou perturbante des excès dramatiques du livret. Simplement un environnement minimaliste, des tâches rouge feu et rouge mort, des panneaux et voiles aux tons gris et noirs qui évoluent efficacement à vue au fil de l’action, le tout propice à mettre en valeur les destins des personnages en garantissant le respect de la puissance expressive de la partition.

 

Michele Spotti © Anthony Carayol - Ville de Marseille

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Standing ovation pour Michele Spotti et ses troupes

La musique de Verdi, justement, parlons-en ! Michele Spotti est à la baguette et justifie une fois de plus que son choix d’accepter le poste de directeur musical de l’orchestre de l’Opéra phocéen était le bon. On l’a dit, écrit et re-écrit, cet ensemble vit, vibre et sonne transalpin lorsqu’on le lui demande. S’il sait aussi donner avec intensité sens et son aux compositions d’Ernest Reyer, Massenet et autres, lorsqu’il retrouve son directeur musical pour Verdi ce n’est pas pareil. Une alchimie spontanée se met en place et, note après note, l’édifice trouve son architecture, son volume, ses nuances et sa puissance. Bilan : une standing ovation pour le chef et les musiciens, une de plus. 

 

Patrick Bolleire (Ferrando), Aude Extrémo (Azucena) & Serban Vasile (Luna) © Christian Dresse

Une intensité à couper le souffle

Vocalement, difficile d’offrir une distribution plus homogène même si, à l’applaudimètre, Aude Extrémo termine sur la première marche du podium ; et de façon méritée ! Son interprétation d’Azucena se révèle d’une intensité à couper le souffle. Dans la première partie de l’acte II, jouée et chantée sans roulotte ni enclume pour rythmer à coup de marteau les interventions du chœur, la mezzo réussit une performance à tirer les larmes tant l’émotion est palpable, colonne vertébrale d’un chant grave, puissant, limpide, halluciné sans tomber dans le pathos. A ses côtés, l’excellent chœur de l’Opéra, préparé par Florent Mayet, est à l’unisson, lui aussi débarrassé des scories dont on encombre trop souvent cette scène chargée de sentiments. Azucena, femme tiraillée entre le désir de venger sa mère et son amour maternel pour Manrico, cet enfant enlevé qui a remplacé dans son cœur et sa vie le sien qu’elle a jeté dans le brasier dans un moment de démence, qui ira jusqu’au bout de sa vengeance avec un investissement scénique idéal et une voix sans faille. Du grand art.

 

Serban Vasile (Luna), Angelique Boudeville (Leonora) & Teodor Ilincăi (Manrico) © Christian Dresse

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Les nuances d'un personnage complexe

Angélique Boudeville (photo à dr.) retrouvait donc le rôle de Leonora embrassé il y a un an et demi à Saint-Etienne et s’est investie totalement dans l’interprétation d’un personnage qu’elle qualifie « d’iconique ». Belle ligne de chant, projection assurée, elle délivre de temps en temps ses aigus puissants avec un peu de difficulté. Mais la rondeur, les couleurs et la richesse de son timbre lui permettent d’assurer une présence d’une grande humanité tout au long de l’ouvrage.
Dans le rôle-titre, Teodor Ilincăi impose avec facilité son volume et une maîtrise totale des nuances d’un personnage complexe. Le ténor roumain s’investit totalement pour exprimer ce profil psychologique et ses duos avec Azucena, entre autres moments remarquables, sont de toute beauté. Serban Vasile incarne le comte di Luna, lui aussi tout à fait en adéquation avec son rôle, tant scéniquement que vocalement. Projection éclatante, graves ténébreux et grande rigueur distinguent le chant du baryton. Quant à Patrick Bolleire, il confère à Ferrando, rôle qu’il connaît sur le bout des doigts, une présence de qualité avec un soin apporté aux côtés sombres de sa voix de basse et l’exploitation permanente de sa puissance. Présence de qualité, aussi, pour les comprimari Laurence Janot, idéale Inez, et Marc Larcher, Ruiz ; artistes du chœur, Arnaud Hervé et Norbert Dol ont eux aussi contribué au succès de la première de ce Trouvère aux 50 nuances de noir – et vocalement lumineux !

Michel Egéa
 

Verdi : Il Trovatore – Marseille, Opéra, 1er juin ; prochaines représentations les 3, 5 & 10 juin 2025 // opera-odeon.marseille.fr/programmation/il-trovatore

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2025/2026 : Une saison très italienne à Marseille

La saison s’ouvrira en novembre avec Falstaff suivi, pour les fêtes, du Barbier de Séville. En juin, après deux représentations des Noces de Figaro à l’Odéon, Rigoletto tirera le rideau sur la saison. Les deux nouvelles productions seront données en fin d’hiver et au printemps : en mars, Louis Désiré signera les Dialogues des carmélites puis, en mai, L’Or du Rhin, une première wagnérienne pour Michele Spotti. Sur les huit rendez-vous lyriques programmés, deux titres seront donnés en version concertante : I Masnadieri de Verdi et Ermione de Rossini.
Nouveaux abonnements à partir du 17 juin, vente des places à l’unité à partir du 24 juin // https://opera-odeon.marseille.fr/sites/default/files/2025-04/opera_odeon-brochure_2526.pdf
   
© Christian Dresse

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