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Le Trio Arnold à la Schubertiade de Sceaux – Conversation viennoise – Compte-rendu

 
Lancée en 2018, la Schubertiade invite, une fois par mois d’octobre à mars, à savourer un rendez-vous musical à l’Hôtel de Ville de Sceaux. Comme le nom de la série le laisse supposer, le répertoire chambriste domine une programmation largement ouverte aux jeunes interprètes. Et parmi les meilleurs ! Un bel exemple vient d’en être offert avec le Trio Arnold.

La France connaît depuis quelques années une riche floraison de formations chambristes, quatuors à cordes surtout, trios avec piano dans une moindre mesure. Le créneau, si l’on peut s’autoriser ce prosaïque vocable, du trio à cordes demeure quant à lui infiniment moins couru. C’est dans cette voie que Schuichi Okada (violon), Manuel Vioque-Judde (alto) et Bumjun Kim (violoncelle) se sont engagés en 2018 après leur rencontre à l’Académie internationale Seiji Ozawa en Suisse. Les trois musiciens ne pouvaient trouver meilleur cadre pour fraterniser musicalement et unir des jeux et des tempéraments bien affirmés. La jeunesse de Beethoven a, dès 2021, montré la force et la cohérence de leur entente avec un premier enregistrement (Mirare), magistral, des trois Trios op. 9 d’un compositeur lancé depuis peu dans la conquête de Vienne.
 De la capitale autrichienne et sa « Première école », il est question aussi à Sceaux, sans pour autant complètement oublier la Seconde. L’unique Allegro du Trio (inachevé) D. 471 de Schubert – empli du souvenir de Mozart – donne d’emblée le ton, celui d’un partage musical, aussi fluide que souriant, qui sait pourtant aussi saisir les ombres qu’un Schubert d’à peine vingt ans laisse paraître ici où là. Témoin des premiers pas de Webern dans le dodécaphonisme, et objet de la part des Arnold d’un remarquable travail sur le timbre, le bref Mouvement pour trio de 1925 crée le contraste et assure la transition vers le Trio en si bémol majeur D. 581, d’un an postérieur au D. 471 et seul ouvrage de cette forme jamais achevé par Schubert.
 

Bumjun Kim, Schuichi Okada & Manuel Vioque-Judde © Neda Nevae
 
L’esthétique viennoise, nos trois jeunes musiciens l’ont apprise auprès de grands maîtres, mais jamais ils ne transforment ce savoir en amidon d’école. Par la liberté du geste et le regard émerveillé qui les animent, ils le transcendent et parviennent à un point d’équilibre idéal qui a pour noms style et goût. Le Trio D. 581 doit certes encore beaucoup à Mozart et Haydn, mais quel bonheur d’entendre l’Allegro s'épanouir, d'une sonorité pleine et généreuse, illuminé par l’archet radieux de Schuichi Okada. Pas un instant toutefois, le violoniste ne tire la couverture à lui ; bien au contraire, ce sont l’intensité et la saveur (le Menuetto) de la conversation musicale qui prévalent jusqu’au terme du Rondo. Un tempo parfait laisse tout loisir aux interprètes pour se délecter du foisonnant matériau de ce finale, et faire regretter que Schubert ne soit pas allé plus loin dans le domaine du trio à cordes ...
Tardive (1788) et vaste partition de Mozart, le Divertimento en mi bémol majeur KV 563 occupe toute la seconde partie et souligne la conscience harmonique sur laquelle s’appuie l’interprétation des Arnold (quel Adagio !) – chaque point de tension trouvant son juste poids expressif sous leurs archets – mais aussi la richesse et la malléabilité d’un matériau sonore capable de se dilater pour parvenir à une ampleur quasi symphonique (la dernière variation de l’Andante). Reste que, plus que tout, c’est la profonde complicité musicale et amicale des trois jeunes instrumentistes qui, de bout en bout, fait la richesse et l’humanité de leur propos.
 
Magnifique conclusion d’une saison signée comme toujours par Pierre-Kaloyann Atanassov, pianiste du Trio Atanassov (aux côtés de Perceval Gilles et Sarah Sultan). D’ailleurs, à propos de réussite chambriste, il faut souligner celle de l’enregistrement (Paraty) que cette formation a livré il y a quelques mois, qui réunit les Trios nos 2 et 4 « Dumky » de Dvořák et l’Elégie op. 23 de Suk. Sous le titre « Bohemian Rhapsodies », l’approche séduit immanquablement par son engagement, son naturel et sa poésie. Dvořák tel qu’on l’aime !
 
Alain Cochard

 Sceaux, Hôtel de Ville, 25 mars 2023
 
Photo © Neda Nevae

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