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Le Roi Roger selon K. Warlikowski à la Bastille - Le choix du Directeur


A la Grande Boutique, les fins de règne sont souvent des manifestes. Hugues Gall partait sur la pirouette du Capriccio de Richard Strauss selon Robert Carsen, rappelant au public parisien l’Occupation, le plongeant dans l’illusion du théâtre jusqu’à la défaire aux dernières mesures, le tout sur fond de mise en abyme du Palais Garnier.

Pour Gérard Mortier les adieux ne se feront pas sous les ors du Palais, mais dans le vaisseau de Bastille, en soit déjà un aveu. Pas de Strauss bien entendu, pas même au contraire un de ses chers Janacek (on aura vu sous son règne les plus significatifs à l’exception de Jenufa jugée probablement trop courue, ne lui manquait vraiment que le très beau – et difficile surtout – Osud), mais une œuvre très rarement montée, ce Roi Roger où Szymanowski fait profession de foi en son art et confesse son intimité. Car c’est ici que le compositeur d’Harnasie dévoile la question de l’identité.

On sait que l’homosexualité de Szymanowski s’entend dans tout son art raffiné, sensuel, transporté par une suractivité clairement sexuelle, et si elle n’est pas présente au premier chef dans le récit qu’il tisse à quatre mains avec Jaroslaw Iwasziewicz en écrivant le livret, elle n’en est pas moins le vrai ressort caché. La beauté du Berger, détenteur d’un culte dionysien, attire autant Roger que Roxana.

Une fois abandonné par celle-ci, parvenu au lieu des anciens Dieux, Roger se retrouve révélé à lui-même. Dans cette œuvre où rien n’est dit mais tout suggéré, où le débat théologique est prétexte à l’effondrement d’une société et à la dissolution de l’intime, le Berger apparaît comme l’ange dévastateur du « Théorème » de Pier Paolo Pasolini, référence littéraire certes mais d’abord cinématographique que Krzysztof Warlikowsi (photo) ne se privera probablement pas d’amalgamer à sa régie.

Car c’est à son metteur en scène fétiche que Gérard Mortier a confié la redoutable tâche d’incarner l’opéra de Szymanowski. Un opéra où il ne se passe rien, un vrai théâtre des âmes, porté par une musique érotique quelle qu’en soit les acceptions : érotisme du religieux dans la Cathédrale de Palerme, érotisme sexuel jusqu’à la perversion mentale du Berger, érotisme panthéiste qui accompagne la révélation de Roger à lui-même alors que se lève le soleil.

L’ouvrage est somptueux dans son impressionnant décor sonore, et touche au plus profond. Il sera défendu par un cast absolu : depuis la disparition tragique de Wojtek Drabowicz, Marius Kwicien (l’Onéguine de Garnier selon Dmitri Tcherniakov à l’automne dernier) est l’interprète majeur du rôle titre. Eric Cutler pour le Berger, Olga Pasichnyk en Roxana, l’Edrisi de Stefan Margita, tous sous la baguette claire de Kazushi Ono devraient rendre justice à la création scénique de l’œuvre en France.

Jean-Charles Hoffelé

Karol Szymanowski : Le Roi Roger - Paris, Opéra Bastille, les 18, 20, 23, 25, 28, 30 juin et le 2 juillet 2009

> Programme détaillé de l’Opéra Bastille

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Photo : DR/Opéra de Paris

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