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Le Quatuor Tchalik interprète Ravel et Lyatoshynsky – Séduisante rencontre

 
Quelle formation ne rêve pas d’enregistrer un jour le Quatuor de Ravel ? Un chef-d’œuvre absolu du répertoire qui, à peine évoqué, est immédiatement associé au Quatuor de Claude Debussy tant abondent les versions de ce couplage. Deux réalisations de jeunesse, avec des traits communs du point de vue formel (le principe cyclique en particulier) certes, mais qui, bien que distantes d’une décennie seulement, relèvent d’esthétiques différentes et gagnent à être considérées séparément, à s’inscrire dans des perspectives autres que celle du sempiternel couplage évoqué plus haut.
 
Après le Quatuor Voce, qui a préféré associer Ravel à ... Ravel (original ou transcrit) et à Mantovani dans un disque très réussi (Alpha), le Quatuor Tchalik joue une carte plus originale encore en associant la pièce du Français aux Quatuors nos 2 et 3 de l’Ukrainien Boris Lyatoshynsky (1895-1968) dans le but avoué de souligner la « filiation inattendue » entre les deux auteurs et d’oser une approche différente du Quatuor de Ravel ; de le sortir de l’orbite impressionniste pour « l’envisager sous l’angle d’une expressivité fauve ». Séduisante rencontre et résultat passionnant ! (1) Ce nouvel enregistrement marque aussi une étape supplémentaire dans l’ascension d’une jeune formation que l’on suit avec attention pour l’intelligence et l’authenticité de sa démarche. Une soirée à la salle Cortot a d’ailleurs permis au public mieux faire connaissance avec elle, le 6 mai dernier.
 

 
Sur des instruments qui, rappelons-le, ont été spécifiquement conçus dans une perspective quartettiste par le luthier Philippe Mitéran (avec Konstantin Cheptiski pour les archets), les quatre musiciens franchissent un cap. Les albums Hahn, Saint-Saëns, Tischenko forçaient déjà – ô combien ! – l’admiration ; ce Ravel-Lyatoshynsky montre qu’un palier a été franchi dans la maturation du son.
« Expressivité fauve » : tel est bien le caractère qui se dégage de la fameuse partition de Ravel, que l’on n’entend pas tous les jours habitée d’une aussi ensorcelante poésie. L’ouvrage (diffusé en Russie peu de temps après sa création) fit grande impression sur Lyatoshynsky, son Quatuor n° 2 en témoigne. Les influences sont là, la personnalité du jeune compositeur aussi. Les échos que la musique du Français trouvent en lui sont métamorphosés dans une superbe partition (de 1922) que les Tchalik explorent avec un sens de la couleur, une vigueur du trait et une poésie (cet Intermezzo, nocturne et frémissant ...) proprement irrésistibles.
Curieux de toutes les expressions de la modernité – il allait bientôt déchanter avec la montée du stalinisme ... – Boris Lyatoshynsky ne manqua pas de regarder aussi du côté des Viennois. De deux ans postérieur à la Suite lyrique de Berg, la Quatuor n° 3 op. 21 (1928) – en cinq parties et d’ailleurs sous-titré « Suite » – le démontre. Mais, à l’instar de Ravel et du Quatuor n° 2, on n’a aucunement affaire à un pâle épigone. L’ancien élève de Glière, admirateur de Scriabine, signe une partition très aboutie, entre abstraction lapidaire, sombre étrangeté et exacerbation du sentiment. Et elle trouve ici interprètes à sa mesure !
 
Il faudra attendre l’été (à partir du 10 juillet) pour entendre le Quatuor Tchalik dans Lyatoshynsky en concert, mais dès le 25 mai, les musiciens seront à Vannes (église Saint-Patern) dans un très original programme quatuor et orgue, avec Thierry Escaich. Outre des pages originales ou transcrites de Mozart, Mendelssohn et Saint-Saëns, il permettra de découvrir en première française Prana de T. Escaich, une pièce créée par les mêmes interprètes en 2022 à Dresde et Cologne.   
Quant à la suite du parcours discographique des Tchalik, ils viennent de mettre en boîte la fin de la musique de chambre de Reynaldo Hahn. Un peu de patience : sortie en 2025 !
 
Alain Cochard
 

 
 Voir les prochains concerts de quatuor en France

Photo © Alex Kostromin

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