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Le pianiste Kun Woo Paik ; titan et poète

Le mélomane se comporte parfois de manière paradoxale. Il déplore volontiers la disparition des grandes figures charismatiques du clavier ; il écoute, les yeux embués de larmes nostalgiques, de vieilles cires crachotantes… - ah !, le bon vieux temps… - et ne prête pas toujours l’attention qu’il faudrait aux interprètes de son époque. Celle-ci cultive trop la tiédeur ? La chose ne fait pas de doute, mais il est de magnifiques exceptions !

Kun Woo Paik en fait partie. Titanesque puissance et poésie infinie se mêlent sous les doigts de ce pianiste hors du commun. On comprend mieux le pianisme fabuleux qu’il déploie lorsque l’on se souvient que Rosina Lhévinne, Guido Agosti et Wilhelm Kempff ont été ses maîtres…

Subjectives, singulières, parfois dérangeantes – mais ceci toujours avec un justification musicale profonde – ses interprétations se situent à l’opposé de lectures consensuelles et confortables qui abondent aujourd’hui.
La musique russe a souvent illustré l’art de Kun Woo Paik. Scriabine, Rachmaninov, Prokofiev, Moussorgsky : à chaque fois, l’intelligence et la sensibilité de l’interprète ont agit tel un révélateur, mettant en avant des aspects souvent méconnus des partitions – car il a su s’y mettre en danger …

Les goûts de Kun Woo Paik se révèlent toutefois d’un éclectisme remarquable. D’aucuns voudraient le cantonner à des répertoires très physiques et de haute virtuosité… Il leur donne tort en faisant également merveille dans le répertoire français, qu’il sert avec une qualité de timbre et une tenue stylistique à couper le souffle ! Un enregistrement fauréen (Decca) l’a magistralement prouvé il y a quelques mois(1)… L’auteur des nocturnes fait d’ailleurs partie du programme intégralement français que l’Ensemble Orchestral de Paris dirigé par François-Xavier Roth donne en compagnie du pianiste. Outre la Ballade op 19, ce dernier interprètera aussi les Variations symphoniques de Franck. Deux partitions « fin de siècle » qui vont trouver une jeunesse nouvelle sous des doigts inspirés !

Hasard de la programmation, Kun Woo Paik se fait entendre deux fois dans la même semaine – et nul ne s’en plaindra ! Pour les Concerts du Dimanche Matin, il nous réserve un programme romantique allemand où Schumann et Brahms dialoguent. Un choix historiquement cohérent ô combien, mais dont la logique musicale ne pourra que frapper également. Comme toujours Kun Woo Paik atteint un équilibre idéal entre le rare et célèbre, car s’il est trait distinctif d’un des plus grands pianistes de ce début de siècle, c’est bien d’ouvrir de perspectives nouvelles à l’auditeur ; de lui faire découvrir… et se découvrir. « Acheter une place de concert, c’est prendre un billet pour l’aventure »… Parce qu’il est un interprète au sens le plus fort et le plus noble du terme, Kun Woo Paik peut faire sien le magnifique mot de Samson François !

Alain Cochard

(1) En matière discographique, on ne manquera pas non plus l’intégrale de l’œuvre concertant de Frédéric Chopin que le soliste vient de graver en compagnie du chef Antoni Wit (2CD Decca) !

Ensemble Orchestral de Paris, TCE, le 11 février à 20 h
Concert du Dimanche Matin, le 15 février à 11 h

Photo : DR
 

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