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Le Paris des Orgues (II) - de la Cléopâtre de Haendel à l'informatique du CNRS - Compte-rendu


Avant que Jeremy Filsell ne referme le 24 mai à Notre Dame de Paris (1) l'édition 2011 du Festival Le Paris des Orgues, trois manifestations très contrastées étaient proposées la semaine précédente, à la découverte de lieux sans doute moins connus du public que les habituelles « grandes tribunes ».

À l'orgue Suret (1853, mi-classique avec sa riche batterie d'anches, mi-romantique) de Sainte-Élisabeth, rue du Temple, on put d'abord entendre Christophe d'Alessandro, son titulaire, dialoguer avec Markus Noisternig (LIMSI-CNRS), le propos étant de décupler via l'électronique (transformations audio en temps réel : le concert était sous-titré Orgue et réalité augmentée) les possibilités de l'instrument, jusqu'à presque le dédoubler. Aux improvisations aux claviers (précisément préparées en termes de registrations et de dynamique) répondaient de multiples degrés de « distorsion » des sonorités, captées par quatre micros disposés à l'intérieur du buffet et amplifiées de même.

En alternance avec des pièces écrites furent proposés trois interludes encadrés d'un prologue et d'un postlude pour orgue et électronique – les jeux de l'orgue restant silencieux dans l'interlude central, où seul l'air sous pression fut traité et amplifié, jusqu'à un niveau singulier de puissance. Étonnant et intensément évocateur. Christophe d'Alessandro sembla si investi dans cet aspect du concert, improvisant avec souplesse et assurance, que les pièces écrites – Couperin, Franck, Liszt et Messiaen – parurent moins convaincantes, textuellement et stylistiquement parfois bousculées. L'essentiel du concert tenait indéniablement à la complémentarité de deux univers.

Quelques jours plus tard, en l'église des Billettes, l'orgue se substituait à l'orchestre, Éric Ampeau accompagnant aux claviers de ce Mühleisen (1982) « classique » la soprano Julia Sloman (photo), tandis que Patrick Menossi narrait l'histoire de Cléopâtre mise en musique par Haendel dans Giulio Cesare – tour de force pour la voix, avec neuf récitatifs et huit airs ! Souvent dans l'aigu et forte, la voix emplissait le volume proportionné mais restreint de l'église avec une présence parfois proche de la saturation – quand en face l'orgue, peut-être en raison d'une surface de projection plus vaste pour une moindre tension, l'emplissait de même, mais en douceur – y compris sur le plenum.

Étrange contraste ne facilitant pas la tâche de Julia Sloman, parfaite d'aisance et convaincante sur le plan de l'évolution psychologique du personnage. Quant à Éric Ampeau, superbe claviériste, il fit vaillamment entendre la base commune unissant l'orchestre de Haendel et le clavier de ses Suites, l'adéquation instrumentale étant tout simplement parfaite et source de mille prodiges (timbres, textures, plans, intégration dramatique). Quant au travail commun de la voix – en constant déplacement dans l'édifice (chœur, nef, tribune) – et de l'orgue, il suffisait d'entendre le parallélisme absolu des battements de certains trilles pour en saisir toute l'intensité !

Changement complet d'atmosphère lors du dernier concert de la semaine, avec un programme Jehan Alain proposé par Helga Schauerte à l'église évangélique allemande de la rue Blanche, dotée d'un Kleuker (1964) dont elle est titulaire. (Helga Schauerte a publié en 2010 chez Bärenreiter une intégrale de l'œuvre d'orgue de Jehan Alain.) Il s'agissait du premier concert d'un Festival Jehan Alain, accompagné d'une exposition, qui se poursuit les 5 et 19 juin. Pièces d'orgue, pages vocales, pièces pour piano (de quelques notes lumineuses et sobrement suggestives : Choral, Étude de sonorité, jusqu'à du « grand piano français », Prélude) puis violon et piano ; également l'Intermezzo en première audition française dans sa version inédite pour quatuor à cordes et piano ; enfin la somptueuse – et pourtant si « modeste » – Messe modale en Septuor, avec quatuor à cordes, flûte et deux voix. Les interprètes réunissaient professionnels et grands amateurs, et si les cordes n'étaient pas optimales, du moins la ferveur fut-elle partagée : 2011 est assurément l'année de la découverte ou de l'approfondissement du catalogue de Jehan Alain, certes mort à moins de trente ans mais en nous laissant un authentique monde sonore.

Michel Roubinet

(1) Lire le compte rendu

Festival Le Paris des Orgues (28 avril – 24 mai 2011) : concerts des 17 (Sainte-Élisabeth), 21 (Billettes) et 22 mai (église évangélique allemande).

Site Internet :

Festival Le Paris des Orgues

http://www.orguesparis.fr/

Christophe d'Alessandro / LIMSI-CNRS

http://www.limsi.fr/Individu/cda/

Éric Ampeau

http://ampeauorganiste.myzik.eu/

Festival Jehan Alain / Église évangélique allemande

http://www.evangelischekircheparis.org/fr/kirchenmusik/2011/alain/

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Photo : DR

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