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Le Paradis et la Péri de Schumann à la Seine Musicale – Au cœur du romantisme – Compte-rendu

C’était l’époque où l’art se nourrissait de transfigurations, d’esprits, d’anges déchus, de sylphides et d’obsessions surnaturelles, de sacrifices rédempteurs dont le Parsifal de Wagner serait plus tard, après le don de Senta et le bûcher de la Walkyrie, l’expression la plus accomplie. Le bien et le mal, le corps et l’esprit, conflits essentiels mais malheureusement parfois affadis par les sucreries excessives de certains poètes romantiques. Que de petites fleurs sous les petons, que de ruisseaux gazouillant autour de cette délicieuse Péri, issue de l’imaginaire persan qui la représenta abondamment dans ses fines miniatures, et dont Schumann, séduit par le texte de l’Irlandais Thomas Moore, Lalla-Rookh, allait en faire l’héroïne de son oratorio de 1843, lequel reçut partout un accueil enthousiaste. Ses Scènes de Faust, infiniment plus sombres, voisineraient ensuite dans le temps avec la Damnation de Faust berliozienne, laquelle est depuis sortie des fosses pour accéder à la représentation scénique, tandis que La Péri, elle, n’a pas eu jusqu’ici cet honneur.

© Julien Benhamou
Epreuves et rencontres
Belle idée donc, à l’heure des vidéos, bien que l’espace de l’auditorium de la Seine Musicale ne dispose pas des moyens techniques pour y faire vraiment de l’opéra, de projeter les héros de cette quête mystique sur le plateau, avec une scénographie simple, qui fait s’enchaîner plus lisiblement les tableaux sur lesquels reposent les épreuves de la Péri et surtout de ses rencontres tristement humaines, comme un album que l’on feuillète, tandis que courent sur un grand écran des images lumineuses qui contrebalancent la tristesse des histoires contées .
C’est un trio inspiré qui a présidé à cette mise en vue de l’ovni conçu par Schumann, rendant l’œuvre encore plus prenante, la cheffe Laurence Equilbey, Daniela Kerck, scénographe, et Astrid Steiner, vidéaste, avec quelques sobres costumes, blancs ou noirs d'Andrea Schmidt-Furterer, laquelle a superbement enveloppé l’ange d’ailes noires qui lui donnent l’air de sortir de Notre-Dame de Paris.
Dépourvu d’orientalisme
Le résultat est alluré, violent parfois et un peu glauque lorsqu’au début les personnages ne cessent de ramasser des linges ensanglantés, témoins d’horreurs guerrières. Et il apparaît dépourvu de tout orientalisme, comme d’ailleurs la musique de Schumann, qui n’a qu’effleuré cette thématique. Mais poétique aussi quand il le faut, avec des rappels picturaux qui au lieu de revenir à Caspar David Friedrich, témoin habituel de ces extases romantiques tendues vers l’union avec le cosmos, ramènent plutôt à l’onirisme d’un Chirico ou même d’un Delvaux.

© Julien Benhamou
Force intérieure
Musicalement, l’œuvre, malgré des maladresses dans sa tenue dramatique, est flamboyante, faisant alterner de grands airs de la plus belle facture opératique, notamment pour la Péri et le narrateur, avec des chœurs d’une formidable intensité, par exemple lorsque le peuple se lamente la fin de la première partie. De quoi éprouver une nouvelle fois la souplesse et la rigueur du chœur Accentus, gradué comme des battements d’ailes, ou recueilli avec une vraie force intérieure : ainsi dans la scène où, encerclant le criminel repenti dont le regret vaudra à la Péri son retour à l’Eden, les choristes évoquent quelque tableau digne de Montségur et de ses chevaliers du Graal.
Une distribution de qualité
Si la gestique, très sobre, contraste avec la fluidité des vidéos, dont on a souligné la délicatesse, la qualité de la distribution n’a donné que de grands moments de bonheur, notamment avec la Péri de Mandy Fredrich, remplaçant Johanni van Oostrum, initialement prévue : voix large, chaleureuse, vibrante et se faisant de plus en plus émouvante au fur et à mesure qu’elle s’épanouissait. On a aussi beaucoup apprécié la superbe clarté, la diction impeccable du ténor Sebastian Kohlhepp, ainsi que la magnifique expressivité de Victoire Bunel dans le rôle de l’ange. Même haute teneur pour les autres rôles, notamment pour l’alto Agata Schmidt, les touchants Lancelot Lamotte et Clara Guillon, et pour les interventions, courtes mais notables de Samuel Hasselhorn, chargé d’une partie vocale très particulière, difficile, car si différente, par son côté non mélodique, des effusions lyriques des autres personnages
L’Insula orchestra, lui, répondait à la vigueur impérieuse de la baguette de Laurence Equilbey, laquelle emportait l’œuvre dans un flot tumultueux. Et l’on sortait ébranlé de cette frénésie mystique à laquelle la musique de Schumann donnait sa vraie force, annonciatrice par l’exaltation de la pureté sacrificielle, de délires futurs moins recommandables. Architectures de pénombre, comme l’écrivait Boucourechliev.
Jacqueline Thuilleux

Boulogne-Billancourt, La Seine Musicale, 14 mai 2025
© Julien Benhamou
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