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Le New York City Ballet au Châtelet - L’art de briller - Compte-rendu

Une sorte d’élégante nonchalance qui les fait lancer bras et jambes comme un jeu. Rien n’y paraît appliqué, forcé, besogneux : assurément, le New York City Ballet invité au Châtelet par Les Etés de la Danse, et grâce à Marina de Brantes, inconditionnelle fan de Balanchine qu’elle eut la chance de bien connaître, a retrouvé une forme qui semblait compromise lors de ses précédentes venues. Mystère de ce flux qui va et qui vient. On a vu nombre de ces descentes aux enfers des compagnies les plus prestigieuses, tant leur allant tient à peu de choses : ainsi pour le Bolchoï et le Mariinski ex-Kirov, qui après avoir perdu leur prééminence pendant de longues années à la suite des exils de leurs vedettes, l’ont largement retrouvée, tandis que l’Opéra de Paris qui fut à son firmament jusqu’il y a une dizaine d’années, stagne quelque peu. Faute d’étoiles, de chorégraphes qui animent la maison et donnent aux danseurs, au caractère versatile et fragile, l’envie de se surpasser.
 
Le New York City Ballet, lui, ne manque pas d’entrain et croit en ce qu’il fait. Sa joie de danser, ses moyens sont éblouissants. Et surtout il avance une identité qui lui a quelque temps porté ombrage par son caractère répétitif privé de sens, et renaît curieusement à ce jour, celle de l’héritage balanchinien, lourd à porter, mais servi à nouveau par une pléiade de danseurs pour la plupart issus du même moule, et animés par les mêmes valeurs américaines d’enthousiasme et de dynamisme. Sans trop juger de la valeur intellectuelle de leur mission et de leurs évolutions.
 
Intellectuels, certes, Balanchine et Robbins, les deux dieux tutélaires de la compagnie le furent, mais cela ne transparaît malheureusement pas dans le travail des chorégraphes aujourd’hui chargés de revivifier la troupe. Gentillets, comme le très mode Christopher Wheeldon, agités comme Justin Peck, nouvelle coqueluche, et ce ne sont pas là pour le moment des réalisations susceptibles de revivifier la danse néo-académique. Pourtant, ils sont superbement servis, preuve que leur style convient aux danseurs new-yorkais, habitués à jouer sur le chic accrocheur plus que sur la pérennité du style et sur le glamour plus que le sens.
 
 Donc, outre les soirées d’hommage à Balanchine, ainsi que la West Side Story Suite de Robbins et quelques pièces signées de l’excellent directeur de la compagnie depuis 1991, Peter Martins, ce Danois qui fut un sublime danseur apollinien, on a pu considérer les talents des susdits Wheeldon et Peck dans des pièces plutôt décevantes et dont l’une, Estancia (photo), signé du premier, est plus que surprenante par sa ringardise et son côté vieillot. Sur la musique de Ginastera, dynamique comme il convient, la pampa, des chevaux, en collants marrons avec crinières accrochées comme dans les spectacles de fin d’année, de belles filles de la campagne, avec tablier, une nuit d’amour comme à Disney world, le tout raconté avec une naïveté sans style qui évoque les vieux ballets de John Taras, voire le Rodéo d’Agnès de Mille, lequel eut sa justification en son temps. Les interprètes, heureusement, sont magnifiques, notamment le couple vedette Tiler Peck et Tyler Angle, outre la délicieuse Megan Johnson en cavale, mais on les regarde avec étonnement, tant le monde qu’ils racontent semble naïf.
 
Quant à Every where we go, de Justin Peck, favori de Millepied dont le dernier acte pour l’Opéra a été de faire créer son ballet sur le Concerto pour deux pianos de Poulenc, il témoigne de l’habileté du chorégraphe, de son chic, de sa vivacité qui colle si bien aux danseurs new-yorkais plus qu’aux parisiens, mais sa pièce, sur la musique de Sufjan Stevens, égrenée sur neuf mouvements aux noms poétiques, émeut peu, et se sirote plus qu’elle ne se déguste, portée par un Orchestre Prométhée plus performant que le souvenir qu’on en avait gardé. 
 
En revanche, pour Pictures at an Exhibition, sur la musique de Moussorgski et jouées comme du Gershwin par Cameron Grant, les séquences sont déroulées sur fond de petites images graphiques, comme des dessins d’enfant, et témoignent d’une lecture au plus près, avec d’extraordinaires surprises chorégraphiques et une intelligence légère, une fluidité chatoyante qui est la marque d’Alexeï Ratmansky, chorégraphe décrié par l’intelligentsia française, laquelle n’apprécie guère  l’aisance de son style, bien qu’il ait été l’un des artisans principaux de la renaissance du Bolchoï. Là, on peut au maximum apprécier les longues jambes, le tonus et la musicalité d’une compagnie que sa fréquentation assidue de Stravinski a mise à rude épreuve. Le résultat en vaut la peine.
 
Signalons enfin l’hommage touchant à Violette Verdy, disparue cette année, que la compagnie honorera avec Sonatine, l’un de ses grands succès, les 12, 14 et 16 juillet : on ne saurait oublier cette exquise personne, cette fabuleuse ballerine qui, bien qu’elle fut une petite bretonne et non une immense cavale à l’américaine, sut séduire l’exigeant Balanchine par sa grâce, son brio et sa fine musicalité.
 
Jacqueline Thuilleux 

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New York City Ballet - Les Etés de la Danse - Paris, Châtelet, 7 juillet 2016. Prochaines représentations, les 11, 12, 14, 15, 16 juillet 2016. www.chatelet-theatre.com
Opéra Bastille, programme Peck- Balanchine. Prochaines représentations, les 11, 14, 15 juillet 2016. www.operadeparis.fr

Photo (Estancia) © Paul Kolnik

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