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Le Messie (version Mozart) selon Robert Wilson au Théâtre des Champs-Elysées – Signé Bob – Compte-rendu

 On entend déjà ses détracteurs et ceux qui, en près de cinquante ans ont fini par se lasser : « Mais Wilson c'est fini ! ; il ne fait que se répéter ; quel dommage qu'il n'ait pas su se renouveler.... ». Peut-être, mais cet artiste est et restera un magicien de la scène, un des rares scénographes à posséder un style immédiatement reconnaissable au même titre qu'une Chanel et son iconique tailleur ou qu'un Woody Allen et sa manière unique de filmer Manhattan.
 

© Vincent Pontet
 
La dernière création du maître américain, présentée au Théâtre des Champs-Elysées, qui vient de rouvrir après de longs mois de silence, ne déroge pas à la règle : même esthétique épurée, mêmes cadrages millimétrés, mêmes lumières minérales, mêmes ombres chinoises, mêmes gestes hiératiques issus du théâtre nô, même vocabulaire, même rituel. Le Messie de Haendel, dans sa version remaniée par Mozart, abordé comme un « voyage spirituel », doit comme tous les ouvrages choisis par Wilson s'adapter à l'univers et au style qui ont fait la gloire du metteur en scène et non le contraire. Ici comme dans l'éblouissante Passion selon Saint Jean ou dans Œdipus Rex (tous les deux montés au Châtelet ; en 2007 et en 1996),  pas question d'expliquer ou de traduire ce qui est raconté en musique : tout n'est que suggestion, impression, sensation. Wilson a toujours été un créateur d'images puissantes, fascinantes, parfois même prosaïques mais toujours surprenantes. Sa maîtrise très personnelle du plateau, sa manière d'y convoquer tous les arts (l'architecture, la danse, la littérature, la sculpture, la vidéo, la peinture...) lui permettent dans le cas présent d'habiller et d'animer cet oratorio où, s'il est question d'Annonciation, de la naissance et de l'apparition du Sauveur, de l'histoire de la Passion et enfin de la vision de la Rédemption à la fin des temps, aucun de ces sujets n'est véritablement traité.
Entourés d'un chœur envahissant mais très mobile, d'un danseur bondissant et d'un vieillard chenu agrippé à son bâton, les quatre solistes jouent de curieux personnages sans lien entre eux et avec ce qu'ils sont censés décrire, qui viennent s'insérer dans une suite de tableaux subtilement éclairés et rehaussés d'images vidéo. La présence d'un mannequin sans tête tenant en laisse un homard, l'arrivée inopinée d'un cosmonaute pendant le célèbre « Alléluia », ou l'exercice imposé à la soprano de verser sans le regarder, le contenu d'une carafe dans un verre puis du verre dans la carafe, n'a rien à envier aux surréalistes, Wilson ne refusant jamais d’introduire le comique ou l'absurde dans certaine situation.
 

© Vincent Pontet
 
Rien de nouveau diront certains ! Laissons les parler et médire, ce sont les mêmes qui décriaient hier encore Gabrielle Chanel et l'accusaient de ne savoir que décliner à l'infini son tailleur-star, alors qu'en creusant justement son sillon, elle allait en faire un vêtement mythique et entrer dans la légende.
Réorchestrée par Mozart, cette version dirigée avec amour par Marc Minkowski à la tête des Musiciens du Louvre, est splendide, les angles plus arrondis, la touche plus légère, les tempi moins pesants, les chœurs (confiés ici aux superbe Philharmonie Chor Wien) moins solennels et la langue allemande apportant un précieux éclairage à une partition originellement très anglaise.

Sans démériter, la distribution n'est pas renversante ; le ténor Stanislas de Barbeyrac (qui a accepté de remplacer Richard Croft initialement prévu) et la mezzo Helena Rasker, font preuve d'engagement et de rayonnement, lui très à l'aise en vedette de cabaret, pas de danses et rictus au public compris, elle en habitant avec conviction ses pages et notamment le grand et poignant aria de la seconde partie «  Er ward verschmähet und verachtet ». Point faible, la basse bolivienne José Coca Loza dépassée par les vocalises assassines de son premier air « So spricht der Herr, Gott Zeaboth », et par les nombreuses chausse-trappes qui parcourent ses interventions. Comme avec sa Mélisande (déjà avec Wilson à l'Opéra Bastille) froide et distante, Elena Tsallagova chante sans y croire, sans qu'à aucun moment sa ligne pointue ne se réchauffe ou que le moindre frisson ne soit convoqué.
Précisons enfin que ce spectacle, coproduit avec la Mozartwoche de Salzbourg où il fut créé en janvier dernier, a fait l'objet d'une publication en DVD (Unitel).
 
François Lesueur

Haendel : Le Messie (version Mozart) – Paris, Théâtre des Champs-Elysée, 16 septembre 2020.
 
Photo © Vincent Pontet

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