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Le L.A. Dance Project de Benjamin Millepied au Châtelet - Ennui distingué - Compte-rendu

C’est un de ces petits groupes comme il en éclôt de plus en plus dans le milieu de la danse, où une poignée de virtuoses qui n’ont pas trouvé à s’exprimer comme ils le souhaitaient réunissent leurs initiatives, leurs envies et leurs moyens pour chercher un « ailleurs ». Existence difficile car soumise à tant d’aléas matériels que ces groupes se dissolvent souvent rapidement. Celui de Benjamin Millepied, dont on sait quelle star il est devenu depuis que Stephan Lissner l’a désigné comme prochain directeur du Ballet de l’Opéra, est tout récent. Il a pris naissance à Los Angeles, où Millepied s’est installé après avoir pendant dix ans étoile au New York City Ballet, et son directeur insiste sur la liberté et l’indépendance de ses éléments, avec une interférence certaine des danseurs dans les pièces en création. La poignée rassemblée sous sa houlette mérite assurément tous les éloges. Venus d’horizons de la danse contemporaine, bien plus technique et accomplie aux Etats –Unis qu’en Europe, ces artistes se sont aussi parfois frottés à Broadway, ce qui leur donne une aisance et un punch savoureux, notamment Charlie Hodges, ex danseur de Twyla Tharp et phénoménal animal bondissant et tournoyant : un félin.

Pour le reste, les programmes choisis pour le Châtelet ont puisé à un répertoire varié de chorégraphes cultes, comme Forsythe dont le beau Quintet, de 1993, à la fois lyrique et déchaîné, coule comme un fleuve sur la musique de Gavin Bryars et ne relâche jamais sa tension. En revanche, la chorégraphie de Millepied pose question : Reflections, en création mondiale, est une longue variation, en collaboration avec les danseurs, sur les regards que l’on se porte les uns sur les autres. Avec des injonctions affichées du style Stay, ou Go, terriblement factices, la pièce qui s’étire sur 40 minutes déroule d’infinis anneaux de mouvements précieux et sophistiqués, d’une extrême souplesse, les danseurs semblant des lianes inlassablement enroulées et déroulées, et souffre d’un caractère trop lisse qui freine toute émotion. Même si l’on en admire l’écriture brillante. Musique de David Lang, jouée au piano par Andrew Zolinsky, mélancolique et morne. On admire de loin, pour le chic mais pas pour le choc. En revanche, on ne s’interroge pas sur la pièce de Cunningham, Winter branch, datée, et très datée, de 1964 : totalement absconse, jouée dans le noir quasi-total, elle n’est qu’un condensé de vide, en essayant peut –être, par sa quasi immobilité, d’atteindre à la concision d’une sorte de haïku. Cunningham fascina toute une génération de danseurs avides de se contempler de l’intérieur, autrement que dans un miroir. L’époque n’est plus sensible à cette démarche. Le message de Cunningham est passé, dans tous le sens du terme.

Jacqueline Thuilleux

Paris, Châtelet, 25 mai 2013

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Photo : Ryan Schude
 

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