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Le Joueur à Lyon : triomphe de l'anti-héros


Le public fait un triomphe au Joueur de Prokofiev d'après le roman de Dostoïevski à l'affiche de l'Opéra National de Lyon jusqu'à jeudi. C'est justice, car cette nouvelle production d'un opéra trop rarement donné réussit à épuiser toute sa force dramatique faite de vaudeville comme de comédie de moeurs. Une fois de plus, cette réussite tient d'abord à l'unité qui caractérise ce spectacle, le chef Kazushi Ono et le metteur en scène Grzegorz Jarzyna tirant dans le même sens. C'est trop souvent l'inverse pour qu'on se fasse un devoir de le signaler. Pas le moindre temps mort !

La direction d'acteurs du jeune Polonais né en 1968 est d'une virtuosité décoiffante, mais jamais en opposition à la partition. Il a la chance de disposer d'une nombreuse distribution dont l'homogénéité et la disponibilité sont totalement stupéfiantes. C'est en vain qu'on y chercherait une faille. La huitaine de protagonistes sont presque tous d'origine slave et ont l'âge de leur rôle... à l'exception brillantissime du personnage de Baboulenka, grand-mère à héritage qui va dilapider en une nuit sa fortune à la roulette, chantée par la vigoureuse mezzo du Mariinsky de Saint-Petersbourg Marianna Tarasova.

Le Joueur, c'est le magnifique ténor ukrainien Misha Didyk dont l'Alexeï domine l'ensemble sans jamais écraser ses camarades: jouant et chantant d'un même mouvement, il campe le personnage idéal de Dostoïevski. Sa Polina, la Lettone Kristine Opolais, n'a d'indécision que dans son jeu, pas dans son superbe soprano. La Blanche de la mezzo russe Maria Gortsevkaya change d'homme au gré des humeurs de la roue de la fortune, mais heureusement pas de voix ! Fabuleux Général de la basse russe Alexander Teliga entouré du Marquis du ténor allemand Eberhard Francesco Lorenz et du Mr Astley du baryton anglo-saxon Andrew Schroeder. L'essentiel reste que chacun occupe sa place avec un naturel scénique confondant et une aisance vocale remarquable.

Ce spectacle est une preuve supplémentaire, s'il en était besoin, que l'opéra est bien d'abord du théâtre en musique. Le décor unique de Magdalena Maria Maciejewska représente plus le hall d'un grand hôtel dans un ancien pays de l'Est des années 60 que d'une riante ville d'eau Ouest allemande des années 20. L'essentiel c'est que la mécanique théâtrale fonctionne, que les portes claquent, que l'irruption de l'aïeule à héritage soudain ressuscitée fasse son effet. Les éclairages subtils de Jacqueline Sobiszewski en sont les garants.

Mais, comme il se doit à l'opéra, le tempo et la respiration sont donnés par le chef et l'orchestre qui claque comme une oriflamme grinçante. L'entente entre le jeune chef nippon venu de La Monnaie de Bruxelles et l'Orchestre de l'Opéra de Lyon est parfaite. Les choeurs maison sont au diapason. Un vrai grand spectacle qui ne déparerait pas les principales scènes européennes.

Jacques Doucelin

Opéra de Lyon, le 1er février, 2009, puis les 3 et 5 février (20 h.)

> Programmation détaillée de l’Opéra de Lyon

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Photo : Jean-Pierre Maurin

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