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« Le Faune et moi » par Nicolas Le Riche à la Fondation Louis Vuitton – Saveur et intelligence – Compte-rendu

Les masterclasses de danse ne sont pas chose courante, tandis que celles de musique sont légion. Souvent, les chorégraphes aiment à décrypter leurs œuvres, mais les interprètes montrent rarement au public les finesses de leur art (d’où les trésors que constituent pour les archives du ballet classique les films que Dominique Delouche a consacrés à de grands artistes). Cette fois, et c’est une savoureuse idée, Nicolas Le Riche se fait passeur, rôle qu’il adore et dans lequel il montre combien il excelle : pour ce, il a choisi une pièce mythique, fondatrice de tant de mouvements du XXe siècle, celle inspirée à Nijinski par la musique du Prélude à l’Après-midi d’un faune de Debussy, et par la contemplation des vases grecs que Diaghilev l’avait emmené regarder au Louvre.  Bien plus que par le texte de Mallarmé, auquel le Russe ne comprit sans doute pas grand-chose, pas plus que le Français moyen d’ailleurs. Le Riche, dont la fille de Nijinski, Tamara, salua l’interprétation lors de ses adieux le 9 juillet 2014, fut un des Faunes les plus puissants qu’il y ait sans doute eu depuis son créateur et bien sûr l’incroyable Cyril Atanassoff.

© Fondation Louis Vuitton/Martin Argyroglo
 
 On a rarement l’occasion d’assister à un spectacle d’exploration du corps aussi fin que cette séance où Le Riche fait glisser de son corps inspiré les secrets qui vont rendre celui de jeunes et beaux danseurs – dont le langage est encore embryonnaire – parlant, expressif, voire fidèle à un dessein enfui. C’est donc à un nouveau mode d’enseignement public que l’on est convié, Le Riche s’efforçant de rendre « le rêve dans un solo long », comme le dit l’églogue de Mallarmé, aussi vivant que possible, en redonnant leur sens aux gestes. Expérience complexe, difficile, mais passionnante, tant la différence qui jaillit au détour d’un mini épaulement, d’une miette de regard, d’un subtil détournement de menton, sans parler des pas en demi-pointes, à enchaîner comme si l’on était « juché sur des petits sabots », se révèle stupéfiante. Les jeunes gens choisis dans l’atelier chorégraphique créé par Le Riche et Osta – le brun et long Jesse Lyon en novembre dernier, cette fois le blond Robin Chaput, comme sorti d’un vers d’Homère – sont suffisamment doués et techniquement  formés pour que l’étincelle prenne sa pleine portée. Une main qui se casse, un appui du coude, un retournement plus ou moins rapide, et tout s’éclaire.
 
Le tout sous forme de spectacle plus que de cours, puisque Eric Genovèse lit des textes, qui permettent notamment au malheureux élu de respirer – et qu’une flûtiste, Fleur Gruneissen, et un pianiste, Shinichi Inoguchi, ressuscitent Debussy avec une douce poésie. Le Riche ajoute à cet enseignement par le corps, au plus près du quart de geste, de la force de la sensation, une parole dont on sait qu’il est prolixe, tant est vif son enthousiasme d’amoureux de la beauté vraie. Il raconte, réveille des souvenirs, rend justice à ses maîtres, comme Ghislaine Thesmar, se laisse emporter jusqu’au trouble, et c’est infiniment séduisant et chaleureux.
 
Mais il n’y a pas qu’un Faune, il y a aussi des nymphes dans la pièce que Nijinski imposa sous les huées en 1912. Certes, elles sortent d’un aplat de vase grec, gestes stéréotypés, juste comme un rappel à l’antique. Le Riche, qui jamais n’oublie sa muse et épouse, l’ex-étoile Clairemarie Osta, lui a ensuite créé, en manière de malicieuse coda, une petite variation de faunesse, fine et fluide, où le reflet d’Isadora Duncan se glisse parfois comme un réveil de sensualité féminine. Sa tunique flotte, son corps épouse le vent et les odeurs laissées par le Faune, en un charmant hommage à sa féminité. Séduisant et malin.
 
Dans son programme d’adieu, au Palais Garnier, en 2012, Nicolas Le Riche écrivait : « La danse est un art : nous autres, passeurs de mouvement, sommes redevables de sa mémoire et de sa transmission. Il nous importe de ne pas rompre la chaîne ». Il tient ses promesses.
 
Jacqueline Thuilleux

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« Le Faune et moi » - Paris Fondation Louis Vuitton, Auditorium, le 8 janvier 2017. Prochaine conférence dansée de Nicolas Le Riche, le 14 janvier 2017 / www.fondationlouisvuitton.fr
 
© Fondation Louis Vuitton/Martin Argyroglo

 

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