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​Le Duo Berlinskaya-Ancelle, Lucie Leguay et l’Ondif inaugurent le 1er Rungis Piano-Piano Festival – Généreuse complicité – Compte-rendu

Malgré les vents contraires, Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle ont tenu bon, confortés par le plein soutien d’une municipalité très attachée à un projet consacré au répertoire si vaste – et bien mal servi en concert – du répertoire pour duo de piano et piano à quatre mains. Il aura certes fallu adapter la programmation initialement prévue et renoncer à la venue d’artistes étrangers, mais le Rungis Piano-Piano Festival a bien été porté sur les fonts baptismaux et c’est en toute logique aux deux pianistes qu’est revenue la partie soliste du concert inaugural, avec l’Orchestre national d’Île-de-France placé sous la baguette de Lucie Leguay.
 

© Laurent Ardhuin

Le Concerto en mi bémol KV 365 de Mozart s’impose comme l’une de réalisations plus fameuses de la littérature pour deux pianos. C’est pour lui-même et sa sœur Nannerl que le Salzbourgeois le composa en 1779, circonstances qui éclairent l’esprit d’une partition délicieuse, mais où il est facile de tomber dans l’enfilage de perles. Aucun risque avec le Duo Berlinskaya-Ancelle qui, par la généreuse complicité qui l’unit, signe une interprétation irrésistible de fraîcheur et de relief. Les pianistes  comprennent que la musique de Mozart est une scène de théâtre et les deux instruments des personnages qui dialoguent avec esprit, malice et grâce (merveilleux Andante ...). Portée par la direction lumineuse de Lucie Leguay, leur interprétation vit, rebondit, avec autant de vitalité que de style dans le phrasé et, surtout, un émerveillement constant.
Lucie Leguay s’empare ensuite de la Symphonie n° 38 « Prague » et en offre une lecture fermement conduite. Sans doute l’Andante est-il pris dans un tempo un rien trop alenti mais, d’un bout à l’autre de l’ouvrage, l’approche séduit par son caractère très fouillé et l’attention que la cheffe prête aux timbres.
 
A Mozart succède Poulenc ; voisinage plus que cohérent quand on se souvient de la profonde admiration du Français pour un devancier qu’il disait « préférer à tous les autres musiciens ». Place d’abord à Deux marches et un intermède, ouvrage pour orchestre de chambre composé en 1937 à la demande du duc François d’Harcourt et destiné à accompagner un dîner dont le programme musical était partagé entre Auric et Poulenc. « J’ai fait le fromage car je suis aveyronnais et dans ma famille ça compte par-dessus tout. Et puis c’est le moment où l’on goûte les vins », disait avec humour le compositeur d’un triptyque dont Lucie Leguay sait exprimer tout le suc : allégresse goguenarde de la Marche 1889, lyrisme un peu trouble de l’Intermède champêtre, fierté décidée de la Marche 1937.
 

Lucie Leguay © Laurent Ardhuin

On ne pouvait préluder de plus savoureuse manière au Concerto pour deux pianos en ré mineur, dont Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle s’emparent avec une santé et un humour contagieux. Comme l’a rappelé Arthur Ancelle en préambule, la partition (de 1932) est le fruit d’une commande de la princesse de Polignac, certes, mais plus encore de l’amitié qui unissait Poulenc et Jacques Février. Les interprètes s’en souviennent dans une interprétation vivante et farceuse, quoique jamais racoleuse ni débraillée. Quant au Larghetto, tellement marqué par Mozart, il fait mouche par la finesse de ses coloris et une saveur harmonique à laquelle Lucie Leguay et les musiciens franciliens apportent beaucoup aussi.
Le Rungis Piano-Piano Festival naît sous les meilleurs auspices ; rendez-vous en 2021 !
 
Alain Cochard

Rungis, Théâtre Arc-en-ciel, 1er octobre 2020
 
Photo © Laurent Ardhuin

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