Journal
Le Disque de la Semaine – Florian Noack joue Prokofiev (1CD La Dolce Volta) - Compte-rendu
Evidence (que tous les musiciens n’ont hélas pas à l’esprit ... ) : un disque réussi, il en va de même pour un concert, cela commence par un programme cohérent. L’enregistrement du jeune artiste belge s’avère exemplaire de ce point de vue et embrasse l’univers pianistique de Prokofiev dans toute sa variété, de la simplicité des Contes de la vieille grand-mère op. 31 à l’effroyable difficulté des 4 Etudes op. 2 et de la Sonate n°6. Merveilleux narrateur que Noack : sous ses doigts les Contes op. 31 semblent sortir d’une mémoire très ancienne. On ne résiste pas un instant à l’atmosphère tendre, mystérieuse, sombre voire inquiétante parfois aussi qu’il installe au fil de ce cahier trop peu joué. Une prégnante interprétation qui rend plus saisissant encore le jaillissement, formidablement dominé, implacable et exempt de tout effet de manche, des Etudes op. 2 nos 1, 3 et 4, ou le subtil art de coloriste à l’œuvre dans la complexe texture du n° 2
Palette sonore éblouissante de variété, sur laquelle le pianiste trouve toujours la teinte juste pour saisir ensuite, avec une acuité rare, les atmosphères contrastées des Visions Fugitives. Un kaléidoscope poétique déployé avec autant de simplicité que d’évidence, que l’interprète ait affaire aux éthers moirés de certaines pièces, ou à d’autres, bien plus féroces ou mordantes.
Survient enfin la Sonate n° 6 (1939), moment sûrement le plus singulier du disque. L’Opus 82 a fait l’objet d’approches très chargées de métal guerrier, parfaitement justifiées compte tenu du contexte historique dans lequel l’ouvrage naquit. Reste que propre des chefs-d’œuvre est d’offrir une multitude de choix interprétatifs. Face à une partition que l’on qualifie volontiers de « barbare », Noack opte pour une voie autre, qui insiste d’abord sur la dimension profondément classique de la pensée et de l’écriture de Prokofiev ; il signe une version, assumée de la première à la dernière note, dont la lisibilité, la modernité, l’objectivité, la dimension anti-spectaculaire aussi, surprennent autant qu’elle captivent.
Une fois de plus, la musique russe réussit à l'artiste. C’est avec elle et dans l’une de ses expressions les plus fameuses, les Tableaux d’une exposition, qu’il se produit bientôt à la Paris (Salle des concerts – Cité de la musique), le 22 septembre, lors d’un « concert en famille » pour lequel la partition de Moussorgski sera accompagnée d’une narration, imaginée par Lucie Kayas, et confiée au comédien Eric Wolfer.(3)
Il faudra attendre le 10 octobre pour entendre Noack dans un récital de forme traditionnelle, à Piano en Valois-Angoulême. Une manifestation découvreuse de jeunes talents où le pianiste revient toujours avec bonheur : il n’a pas oublié en effet que le festival charentais lui avait confiance dès 2008 (pour un programme qui comprenait la création de sa première transcription : Roméo et Juliette de Tchaïkovski). Il le retrouvre cette année avec un programme Chopin, Prokofiev et ... Liadov !
Alain Cochard
(2) Contes de veille grand-mère, Etudes op. 2, Visions fugitives, Sonate n° 6 / 1 CD La Dolce Volta LDV 74 ( Sortie officielle le 20 septembre 2019)
(3) philharmoniedeparis.fr/fr/activite/concert-en-famille/20752-moussorgski-tableaux-dune-exposition
(4) piano-en-valois.fr/?page_id=219
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