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Le Crépuscule des Dieux à L’Opéra du Rhin - Une fidélité inspirée


Si les trois premiers volets du Ring mis en scène par David Mc Vicar à l’Opéra National du Rhin se sont succédés en 2007, 2008 et 2009, il aura fallu se montrer patient avant de pouvoir découvrir la conclusion du cycle. L’attente est plus que largement récompensée par un Götterdämmerung d’une beauté et d’une intelligence musicale stupéfiantes. Le récit merveilleux que McVicar avait entrepris de nous conter se termine avec une troisième journée qui, comme ce qui a précédé, se refuse à toute grille de lecture réductrice, à tous ces poncifs attrape-bobos pour metteurs en scène en manque d’inspiration – la référence au IIIe Reich en étant le plus pathétiquement et lamentablement éculé.

La fidélité inspirée avec laquelle l’Ecossais considère le Ring n’a cependant rien d’une prosaïque déférence ; elle révèle au spectateur toutes les possibilités d’interprétation du drame wagnérien avec une imagination de chaque instant. De le scène des nornes, à laquelle les effets lumineux de Paule Constable apportent un précieux relief, à la toute fin de l’ouvrage où un ondin surgit des profondeurs du Rhin et vient déposer son masque d’or sur le proscenium, on est continûment pris quand ce n’est tout simplement foudroyé par la beauté et la puissance d’images (somptueux décors de Rae Smith et costumes de Jo van Schuppen !) qui parlent, sans aucune complaisance, à nos imaginaires contemporains.

Une beauté qui n’emprisonne cependant jamais le déroulement du drame – l’écoulement de l’immense fleuve musical wagnérien - dans un esthétisme paralysant comme c’était le cas dans le Ring wilsonien – empesé de surcroît par la battue d’Eschenbach. Foncièrement musicale, la conception de McVicar s’appuie en outre sur une direction d’acteurs extrêmement précise mais qui laisse à chacun des interprètes la latitude pour explorer toute la gamme des sentiments de son personnage.

Parfaite en femme trahie, la Brünnhilde de Jeanne-Michèle Charbonnet brûle les planches. Excellente nouvelle, sa voix s’est  recentrée et a vaincu les problèmes de vibrato intempestif qui entachaient par moments sa prestation dans Siegfried en 2009. Siegfried à Bayreuth l’été prochain, Lance Ryan fait comme toujours montre d’une belle vaillance. McVicar force, avec un mélange d’ironie et de tendresse, sur le côté plus fort en muscle qu’en QI du personnage et le ténor américain le suit en ce sens avec beaucoup de tact. Côté Gibichungen, Robert Bork et Nancy Weissbach campent un Gunther et une Gutrune parfaits – Nancy Weissbach était par ailleurs une excellente Première norne dans le Prologue. Il manque sans doute d’un brin de charbon dans la voix de l’Australien Daniel Sumegi, mais son Hagen n’en est pas moins fascinant, colosse aux allures de chef de guerre mongol entourés d’hommes vêtus façon kendoka.

Quant à la prestation des Chœurs de l’Opéra National du Rhin (excellemment préparés Michel Capperon), elle est digne des plus grandes scènes internationales : la conjugaison parfaite du visuel et du musical aboutit à un résultat qui procure le frisson.

On retrouve avec bonheur l’Alberich toujours aussi caverneux d’Oleg Bryjak. A la fois Deuxième norne et Waltraute, la sensible Hanne Fischer bouleverse dans ce dernier emploi lors de la confrontation avec sa sœur. Quant à Sarah Fulgoni (Première norne), Anaïs Mahikian (Woglinde), Kimy Mc Laren (Wellgunde) et Carolina Bruck-Santos (Flosshilde), elles achèvent de faire de cette distribution un exemple d’homogénéité et d’engagement au service d’un idéal de musicalité et de véracité dramatique.

Un coup de chapeau enfin à l’acrobate David Greeves qui, transformé en centaure par McVicar, est le plus beau des Grane.

Déjà présent dans la fosse pour La Walkyrie en 2008, Marko Letonja a depuis été nommé successeur de Marc Albrecht à la tête du Philharmonique de Strasbourg et prendra ses fonctions au début de la saison 2012-2013. On ne peut qu’attendre le meilleur de son règne à en juger par un Götterdämmerung où il conjugue fluidité, précision, intensité expressive et sens des nuances, avec une gestuelle d’une sobriété exemplaire. Longue, très longue ovation pour le maestro slovène et pour toute une distribution à laquelle David McVicar a la profonde élégance d’associer pleinement l’équipe technique en la faisant monter sur scène.

Le bicentenaire Wagner sera célébré dans deux ans. On ne court pas grand risque en affirmant que ce sont Strasbourg et McVicar qui, pour France, lui auront offert avec de l’avance le seul Ring digne de son génie – conclure aussi magnifiquement à l’orée de l’année Liszt ne manque d’ailleurs pas d’allure ! Commencé sous le règne de Nicholas Snowman, la Tétralogie se referme tandis que Marc Clémeur a pris les rênes d’une des plus belles maisons d’opéra hexagonales.

Une sacré ombre au tableau pour conclure : on est consterné de penser qu’aucune reprise de ce Ring n’est prévue et qu’aucune captation n’en a été réalisée. C’est simplement atterrant, sinon criminel.

Alain Cochard

Wagner : Le Crépuscule des Dieux – Strasbourg, Opéra, 25 février, puis les 3, 6 et 12 mars, les 25 mars et 27 mars 2011 (à Mulhouse/ La Filature)
www.operanationaldurhin.eu

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Photo : Alain Kaiser

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